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Il était arrivé au camp d’Oudjda de nombreux contingens des tribus ; mais comme il n’était fait à ces irréguliers de distributions ni de blé ni d’orge, ils se mirent à dévaster les champs des environs ; de là des rixes entre les pillards et les gens de la ville, soutenus par les Abid-el-Bokhari ; sur quoi El-Ghennaouï, désespérant de contenir cette foule affamée, lui donna congé jusqu’après la moisson.

Il semblait donc que l’ouverture des hostilités dût être ajournée d’autant. Des tribus qui s’étaient tenues à l’écart dans une attitude plus que suspecte se rapprochèrent alors du bivouac français et remirent au général des lettres que leur avait envoyées le kaïd ; il y avait entre autres celle-ci à l’adresse des Trara : « Ne nous cachez rien des nouvelles du chrétien ; munissez-vous de ce qu’il faut en poudre et en balles, et quand nous voudrons nous battre avec lui, nous vous enverrons, pour vous aider, en nombre suffisant, des cavaliers de notre maître. »

D’après les renseignemens recueillis par La Moricière, depuis le renvoi des contingens, il y avait encore, autour d’Oudjda, 300 fantassins et 1,250 cavaliers de l’armée noire ; quant aux congédiés, il écrivait gaîment au général Tempoure : « La troupe réunie pour la danse s’est dispersée, parce que le violon s’est brisé ; mais elle reviendrait bien vite au premier coup d’archet. « Il convient d’ajouter qu’Abd-el-Kader se tenait, à quelque distance, comme en observation ou en réserve, avec 500 askers et 300 khiélas.

La redoute de Lalla-Maghnia mise en défense, La Moricière porta, le 28 mai, son bivouac au nord-ouest, près du marabout de Sidi-Aziz, à deux lieues de la frontière. Le 30, dans la matinée, le colonel Roguet du 41e, qui examinait les alentours, aperçut tout à coup, dans le champ de sa lunette, une grosse troupe de cavalerie qui marchait, drapeaux en avant, éclaireurs en tête, évidemment sur le bivouac. Aussitôt prévenu, La Moricière fit abattre les tentes, charger les bagages et prendre les armes. Une demi-heure ne s’était pas écoulée que, sans aucun échange de paroles, les Marocains commencèrent à tirer contre les grand’gardes. Alors les Français descendirent en plaine ; le colonel Morris, avec quatre escadrons, couvrait la gauche, qui, sous les ordres du colonel Roguet, se composait de deux bataillons du 41e de ligne et du 10e bataillon de chasseurs à pied ; à droite, sous le général Bedeau, venaient les zouaves, le 8e et le 9e bataillon de chasseurs. C’était de ce côté-là que le feu des Marocains était le plus vif. Les troupes, qui marchaient l’arme au bras, ne commencèrent à y répondre qu’à moins de 60 mètres. L’ennemi s’était laissé peu à peu resserrer entre les zouaves et de grands escarpemens rocheux qui bordaient le vallon par où descendait La Moricière. Une charge, exécutée à propos par