la représentation des grands cours d’eau : en ces sortes de sujets, il est maître et n’a point été dépassé. La plupart des villes hollandaises nous apparaissent ainsi dans son œuvre, avec leurs abords et leurs silhouettes pittoresques : Flessingue et son fort, Nimègue et ses vieilles murailles, Utrecht et le clocher gothique de Saint-Martin, Dordrecht surtout, avec sa tour élégante qu’on aperçoit de loin au-dessus des plaines verdoyantes et des immenses nappes d’eau de cette contrée étrange, où les fleuves viennent s’étaler, se réunir pour se séparer et se rejoindre encore, dans une confusion que les géographes ont peine à démêler. C’est là le centre préféré des études de l’artiste, et personne n’a rendu comme lui ces flots grisâtres et limoneux qui clapotent contre les rives, le désordre piquant des bateaux échelonnés à divers plans sur ces « chemins qui marchent, » comme pour on jalonner les distances. Derrière ces embarcations disposées avec goût, l’atmosphère se déploie, se creuse, et aboutit vers l’horizon a ces tons indéfinissables, neutres et cependant lumineux, dont la profondeur égale la limpidité.
Tout cela pourtant semble comme improvisé et peint au courant du pinceau, avec une pratique d’une simplicité élémentaire. Par places, le panneau, à peine couvert d’un léger frottis, laisse voir encore le trait noir de l’esquisse ; mais dans cette facture expéditive, aucune incertitude, aucun repentir. Tous les coups ont porté avec une précision et une sûreté remarquables ; et la touche, par sa vivacité spirituelle et sa crânerie, rappelle la désinvolture de Hals. On comprend qu’avec cette facilité de travail Van Goyen ait beaucoup produit, et les musées de Hollande et d’Allemagne possèdent, en effet, de nombreux tableaux de lui ; mais nulle part, croyons-nous, on ne peut se faire une idée plus juste ni plus haute des acceptions variées de son talent que dans la collection formée par un écrivain cher aux lecteurs de la Revue, M. G. Rothan, qui, ayant pour le maître une prédilection particulière, a su choisir et réunir chez lui quelques-uns de ses meilleurs ouvrages.
Un précieux petit album qui appartient à M. Warneck nous renseigne sur les procédés d’étude de Van Goyen et sur sa vie elle-même. C’est un carnet de poche que, dans le courant de l’année 1644, il emportait avec lui dans ses excursions à travers la campagne. De feuille en feuille, on y peut suivre les étapes de ses tournées fluviales. Installé sur quelque bateau, il partageait sans doute la rude existence des mariniers, et, — à l’aide de la pierre noire et de quelques teintes de sépia pour indiquer les grandes masses d’ombre, — il dessinait au passage tout ce qui s’offrait à ses yeux : les barques avec les détails de leur gréement et de leur voilure, les quais où l’on aborde pour décharger les marchandises, les estacades contre lesquelles le flot vient se briser en écumant,