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de Van de Velde. Il rencontrait cette fois la direction qui lui convenait et qui achevait de décider sa véritable vocation. Avec Van Goyen, les derniers liens qui rattachaient l’école hollandaise à l’école flamande allaient être rompus.

Par sa manière de comprendre le paysage, par sa facture même, singulièrement plus large que celle de P. Brill et de J. Brueghel, Van Goyen diffère complètement de ses prédécesseurs. Il accepte franchement les données les plus modestes : ce sont même celles qu’il recherche de préférence. Loin de prétendre embellir la nature, il s’applique à en accuser les côtés caractéristiques, sans s’écarter jamais de la réalité. Le ciel et l’eau lui fournissent de précieuses ressources pour exprimer la poésie propre à son pays, celle de l’espace et des jeux de la lumière, qui en modifient à chaque instant les aspects. D’ordinaire, le ciel remplit les trois quarts de ses tableaux, et parfois même cette proportion est dépassée. Au-dessous de ces grands ciels où se meut la troupe légère des nuages, l’eau des fleuves ou des canaux réfléchit leurs formes et leur fait écho. Appuyées à la bordure du cadre, les valeurs les plus fortes vont en s’atténuant de part et d’autre vers le centre de la toile, dont la partie moyenne reste claire et dégagée. C’est là que les yeux sont naturellement attirés, qu’ils sont comme invités à se reposer. Pour indiquer ces immenses étendues de l’espace, il n’est pas besoin de colorations bien vives : elles attireraient inutilement le regard. En s’appliquant à restreindre leur diversité, l’artiste atteindra plus sûrement son but. Mais, sur cet effacement général des colorations, quelques tons à peine plus accusés, — un bleu pâle dilué dans le ciel, une voile jaunâtre penchée sur le flot, ou quelque tache d’un rouge affaibli accrochée aux vêtemens des personnages, — vibrent et prennent une signification inattendue. A part ces accens discrètement ménagés, l’ensemble est presque monochrome. On dirait des dessins, n’était la distinction de ces gris subtils, de ces tons froids, verdâtres ou gris perle, qui contrastent ou se mêlent avec les dessous de bistre de la préparation restés très apparens. C’est par la justesse extrême des valeurs que la composition s’établit, se tient de loin, et le tableau, irréprochablement construit dans ses lignes, s’explique dans la diversité de ses plans par des dégradations d’une souplesse merveilleuse.

Comme Van de Velde d’ailleurs, Van Goyen connaît à fond toutes les parties de son art. Sans recourir jamais au pinceau d’autrui, il sait animer ses paysages, y mettre tout ce qui peut leur donner de l’intérêt, des barques, des monumens, des personnages, des animaux. Aussi a-t-il peint des marchés, des foires, des fêtes de village, avec des foules assemblées, pleines de vie et de mouvement. Mais où il excelle, où il montre sa véritable originalité, c’est dans