Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/848

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

intérêts de la gilde. En 1647, il était commissaire de cette association, puis doyen en 1649, et jusqu’à sa mort il ne cessait plus de participer à son administration. En reconnaissance de ces marques de confiance réitérées qu’il en avait reçues, il faisait don à la compagnie d’une de ses peintures pour orner la salle de réunion dont celle-ci disposait au Prinzenhof depuis 1636. Ainsi que son frère, Salomon était affilié à la secte des mennonites, et il avait certainement acquis quelque aisance, car les frais de son enterrement, qui eut lieu le 1er novembre 1670, dans l’église Saint-Bavon, montèrent à 24 florins, somme considérable pour ce temps-là.

Salomon Ruysdael est un artiste d’un véritable mérite, et si, au commencement de sa carrière, ses œuvres présentent avec celles de Van Goyen des ressemblances qui les ont souvent fait confondre, elles manifestent par la suite une originalité croissante et justifient la faveur dont le maître jouit aujourd’hui. Leurs dates, comprises entre 1631 et 1667, permettent de constater une véritable évolution dans la progression de son talent. Tout d’abord, en effet, dans ses premiers tableaux, — musée de Berlin (1631), galerie de Dresde (1633), musées de Bruxelles et de Bordeaux (1634 et 1635), — on a peine à le distinguer de Van Goyen. Ses motifs sont pareils ; sa peinture est, comme la sienne, fine et légère, presque diaphane et un peu inconsistante. Ses arbres, dont il indique vaguement la feuille par des touches claires et empâtées, ne sont pas non plus d’une exécution bien variée. Mais bientôt les deux artistes semblent suivre une marche inverse. Tandis que Van Goyen, recherchant l’effet plus que la couleur, va restreindre peu à peu les élémens de sa palette et tendre, à force de simplicité, à la monochromie, Ruysdael, au contraire, nous montrera graduellement des colorations plus riches. Avec une pâte plus généreuse, ses paysages deviennent d’un ton plus nourri, plus intense, et dans les derniers qu’il a peints, il atteint à une puissance extrême. L’exécution aussi est poussée plus avant : les essences des arbres sont nettement spécifiées, et leur étude plus consciencieuse, loin d’alourdir le travail, arrive par la souplesse de la touche à nous donner idée de la mobilité de leur feuillage. Les êtres animés tiennent d’ailleurs une grande place dans les compositions de Salomon Ruysdael ; il sait, en les multipliant, varier ses données, et bêtes ou personnages sont rendus avec une vérité d’allures qui suffirait à la renommée d’un peintre. On sent, à l’harmonie parfaite qui règne entre tous ces détails, que ce ne sont pas là des additions imaginées après coup, exécutées par une main étrangère, mais que l’œuvre entière a été conçue et terminée par le même artiste. Parfois, chez lui comme chez ses prédécesseurs, chez Esaias Van de Velde ou Pieter Molyn, on retrouve encore, — par exemple dans le