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Harlem. Les membres de la secte des mennonites, à laquelle, ainsi que toute sa famille, il avait appartenu, a ses amis, » comme ils s’appelaient, sollicitèrent pour lui une place à l’hospice de sa ville natale, offrant généreusement de payer sa pension. A la date du 28 octobre 1681, leur requête était appuyée par les bourgmestres de Harlem, qui, en la transmettant aux régens de l’hospice, les engageaient, avec une naïveté un peu cynique, a à se faire bien payer, afin que le susdit pensionnaire ne devint pas une charge pour l’établissement, mais fût plutôt pour lui une cause de profit. » Les amis de Ruysdael n’eurent pas à fournir longtemps la cotisation qu’ils s’étaient imposée, car, le 2â mars 1682, un dernier document, cité par Van der Willingen, vient clore ce lugubre dossier des informations qui ont rapport au grand artiste : c’est l’enregistrement d’une somme de 4 florins pour « frais d’ouverture du tombeau de Jacob Ruysdael en l’église de Saint-Bavon. »

La vie n’avait pas été clémente à Ruysdael ; après bien des traverses, méconnu de ses contemporains, il était mort misérable comme Frans Hals. Mais, tandis que l’inconduite et le désordre avaient eu leur part dans l’infortune de ce dernier, on ne trouve à relever dans l’existence laborieuse du paysagiste que des traits de désintéressement et des preuves de consciencieuse activité. Moins heureux d’ailleurs que son compatriote, qui, au musée de Harlem, apparaît dans tout son éclat avec dix toiles d’une importance capitale, Ruysdael est absent de ce musée. On y cherche en vain son nom, et, après deux siècles révolus, il attend encore la réparation que, justement soucieux de l’honneur de la cité, Van der Willigen réclamait déjà pour lui en 1870, dans l’appel chaleureux qu’il adressait aux habitans de Harlem, et qui jusqu’à présent n’a point été entendu.


III

La négligence des concitoyens de Ruysdael à se faire honneur de sa gloire continue de les accuser ; elle paraît d’autant moins explicable qu’en Hollande même et dans la plupart des musées de l’Europe, les œuvres du maître sont nombreuses et universellement admirées. Avec sa renommée toujours grandissante, le prix de ses tableaux a suivi une progression, lente d’abord, mais constante. Tel d’entre eux, et non des plus importans, une Marine, par exemple, qu’il aurait de son vivant cédée pour 16 ou 20 florins, était vendue 200 florins à Amsterdam cent ans après ; puis successivement payée 1,500 francs au commencement de ce siècle, 9,000 en 1824 et 14,000 en 1829. Mise aux enchères, elle atteindrait maintenant au moins deux ou trois fois ce chiffre. Ruysdael a cependant beaucoup produit, et,