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bien que grossi de quelques ouvrages douteux, le total de 344 peintures donné par Smith dans son Catalogue raisonné (tome VI) serait aujourd’hui certainement dépassé. Ces peintures, nous l’avons dit, sont rarement datées, et, à part celles de l’extrême jeunesse de l’artiste, il est en général difficile de leur assigner une chronologie bien précise. En essayant de les grouper ici d’après la nature même des motifs et suivant les contrées qui les ont inspirées, nous nous bornerons à signaler celles qui nous paraissent capitales dans son œuvre et qui permettent le mieux de caractériser son talent. A l’occasion d’ailleurs et d’après l’exécution de ces ouvrages, nous ne négligerons pas de dire à quelle époque de la vie de l’artiste elles peuvent être rapportées, toutes les fois que cette détermination nous aura semblé offrir quelque vraisemblance.

Bien que son œuvre soit très variée, Ruysdael ne s’est guère éloigné de sa ville natale. A part cette excursion en Norvège dont nous avons parlé, qui, toute probable qu’elle soit, ne peut cependant être constatée d’une manière positive, il n’a jamais quitté son pays, et, dans son pays même, il s’est contenté de rayonner autour de quelques stations d’étude que la sincérité extrême avec laquelle il interprétait la réalité permet le plus souvent de reconnaître. Les paysages norvégiens tiennent, il est vrai, une assez grande place dans son œuvre, et Smith en compte soixante-quinze. Tous appartiennent à la période de sa maturité ; malgré le talent qu’y montre l’artiste, ils nous laissent assez indifférens. Le caractère très spécial d’une végétation où domine le sapin, les entassemens énormes de rochers, le contraste violent qu’offrent leurs colorations brunes et très intenses avec la blancheur des eaux écumantes, l’extrême complication des détails, ne fournissent pas, comme on pourrait trop facilement le croire, des motifs très favorables à l’artiste. Dans ces contrées si riches en accidens, son rôle se réduit bien souvent à simplifier, à élaguer ces détails trop nombreux, et par une conséquence assez inattendue, mais cependant conforme aux conditions mêmes de l’art, cette complication, à la longue, arrive à produire une certaine monotonie. Ruysdael ne l’a pas toujours évitée.

Nous goûtons encore moins ses tentatives de fondre dans une même œuvre des élémens empruntés à des pays très différens. Si nous en exceptons la grande Forêt de chênes de la collection Van der Hoop, au premier plan de laquelle une chute d’eau épand ses flots tumultueux et dont l’imposant aspect mérite d’être signalé, l’incohérence de ces compositions s’accuse généralement de la manière la plus fâcheuse. Leurs détails ainsi juxtaposés paraissent d’autant moins vraisemblables que chacun d’eux, étant rendu avec une extrême précision, trahit son origine et fait sentir