Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/868

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui font certainement pas grand honneur. Était-ce d’Everdingen qu’il avait appris les procédés de ce genre de gravure ? Nous ne saurions le dire ; mais Ruysdael est, comme aquafortiste, bien supérieur, et si c’est d’Everdingen qu’il tient la connaissance des procédés de la gravure, son apprentissage n’a pas dû nécessiter une bien longue durée. Sa pratique, en effet, est des plus simples et se borne à l’emploi de la pointe pour dessiner sur le cuivre. Mais peut-être ce travail peu chargé met-il mieux en relief la savante concision de son burin. Ses deux premières planches connues, datées toutes deux de 1646, dénotent encore, il est vrai, une assez grande inexpérience, et, ainsi que le remarque M. Duplessis, c’est probablement pour ce motif que Ruysdael, sans doute peu satisfait de ses tentatives, n’en a tiré qu’un très petit nombre d’exemplaires. L’une d’elles, qui n’est point cataloguée dans Bartsch, n’existe qu’en épreuve unique au cabinet d’Amsterdam. Elle représente une chaumière et un hangar placés sur la pente d’une colline, avec des traits assez gauchement tracés dans tous les sens pour simuler une pluie d’orage. Dans l’autre, le Ruisseau traversant un village (Barisch, n° 7), les feuillages des saules et des autres arbres sont exprimés par un vague gribouillage dans lequel les masses restent molles et indécises. Mais déjà dans le Paysage avec un marais, daté de 1647, le progrès est manifeste. Malheureusement la planche ayant été, à la suite de frottemens, rayée de traits horizontaux, l’artiste n’en a pas non plus tiré beaucoup d’épreuves, et elles sont aussi d’une rareté extrême. Dans les Deux Paysans et leur chien, la Chaumière au sommet de la colline et les Voyageurs (Bartsch, n° 2, 3, 4), les motifs, plus pittoresques, ont été empruntés à une même contrée, qui, à en juger par le caractère de la végétation et les formes des montagnes, doit être celle du Monastère, de Dresde, et de la Forêt, du Louvre. Ruysdael atteint à la perfection dans la dernière de ces eaux-fortes ; le fouillis des arbres, et surtout le chêne mutilé, dont les racines à demi submergées plongent dans le marais, sont indiqués avec une largeur tout à fait magistrale. Une science sûre d’elle-même se cache sous l’apparent abandon de la facture, et pour pouvoir, avec cette grande tournure et cette entente des musses, indiquer ainsi en quelques traits les côtés les plus significatifs de la nature, il faut à la fois un intelligent amour de ses beautés et une connaissance parfaite des ressources de l’eau-forte.

Pour ses eaux-fortes comme pour ses tableaux, Ruysdael n’a donc pas cessé de consulter la nature, et les nombreux dessins qui nous restent de lui attestent la constance et le soin qu’il mit à ses études. Quant à peindre et à reproduire sur le terrain même les colorations réelles du paysage, nous ne croyons pas qu’il l’ait jamais fait. Tout au plus, à l’exemple d’Everdingen, lui est-il arrivé parfois de rehausser