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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/88

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il maniait les chiffres avec une merveilleuse prestesse. C’est là un joli talent parlementaire ; mais est-on un véritable financier parce qu’on le possède, ou pour avoir jeté dans le gouffre du déficit le maigre produit de deux ou trois impôts ridicules, tels que la taxe sur les chiens ou la taxe sur la poudre, qui n’eut d’autre résultat que de rendre aux cheveux des Anglais leur couleur naturelle et à la farine son usage logique? Fut-ce dans les soirées bachiques de Wimbledon ou en jouant avec les petites Stanhope que Pitt inventa de tels expédiens? Un jour viendra où Sheridan lui criera en plein parlement : « Aucun ministre n’a fait autant que vous pour augmenter les charges du pays ni pour diminuer ses libertés ! » La seconde partie de cette antithèse oratoire n’est que l’accusation banale que toutes les oppositions jettent à la face de tous les gouvernemens. La première est irréfutable.

M. Lecky loue sans réserves la politique extérieure de Pitt, jusqu’au moment où l’Angleterre entre dans la coalition. Ces éloges sont-ils mérités? Pour juger une politique, que faut-il? Mettre en regard le programme et l’exécution, comparer les intentions et les résultats. Donc, que voulut Pitt et que fit-il? Il voulait se placer à la tête d’une ligue de neutres, où la Prusse tiendrait le second rang après l’Angleterre et où la Hollande entrerait comme leur satellite. Cette ligue se donnerait pour mission de maintenir la paix continentale et l’équilibre européen. Elle devait protéger, même malgré elle, la monarchie autrichienne, puissance mal construite et qui se disloquait de toutes parts, conquérante sur le Danube, à peine en état de se défendre en Gallicie et aux Pays-Bas, compromise, d’ailleurs, par les réformes hâtives et maladroites d’un souverain philosophe, — La plus dangereuse espèce de souverain qui se puisse rencontrer ! La ligue anglo-prussienne devait, sans se brouiller avec personne, tenir en échec les deux grandes puissances du passé et de l’avenir : la France et la Russie. Pour ruiner l’influence de la première aux Pays-Bas, il fallait provoquer la restauration du prince d’Orange et la défaite des patriotes, connus par leurs sympathies françaises; il fallait surtout empêcher la création d’une Belgique vassale de la France, conception politique qui était déjà sur le tapis quarante-cinq ans avant l’heure où elle se réalisa. Enfin, pour tenir en bride la Russie, on garantirait l’intégrité de l’empire ottoman ; on stimulerait les ambitions de la Suède, qui avait à sa tête un prince hardi et passionné ; on essaierait de fermer les blessures de la Pologne mutilée et de faire vivre, tant bien que mal, ce reste de nation. Politique naïve, pour ne rien dire de pis! Il était malaisé d’imposer le statu quo et l’immobilité à cette Europe fiévreuse de 1789, travaillée à la fois par les fermens révolutionnaires et par les appétits monarchiques. Il était plus qu’étrange de