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de la Nef des fous ; à Augsbourg, Conrad Peutinger, l’un des initiateurs de l’investigation historique fondée sur la science ; à Vienne, l’astronome Peurbach ; à Nuremberg, son élève Regiomontan, un des premiers maîtres de la trigonométrie moderne, et qui influa sur les découvertes des grands navigateurs de son temps ; Wilibald Pirkeimer, l’ami d’Albert Dürer, esprit universel, homme d’état, philologue, écrivain, orateur, favorable à la réforme à ses débuts, mais bientôt dégoûté par les violences des sectaires. À la tête de l’empire, le jeune Maximilien se faisait gloire de protéger les artistes et les savans. Une seule contrée de la brillante Allemagne reste étrangère au mouvement général et fait tache, et c’est justement celle où la réforme prendra le plus aisément racine, la Marche de Brandebourg, la Prusse de l’avenir. M. Janssen prend plaisir à noter la grossièreté, la barbarie des habitans, et aussi la fausseté, la perfidie des princes de cette maison, le machiavélisme d’un Albert de Brandebourg, et comme contraste, le désintéressement, la générosité des Habsbourg. Au XVe siècle, la Marche se trouvait au dernier échelon de culture intellectuelle. Le prince-électeur Joachim assure « qu’un homme remarquable par son savoir est aussi rare dans son pays qu’un corbeau blanc. » Tandis que l’imprimerie était déjà répandue dans toute l’Allemagne, antérieurement à 1500, et que des villes comme Nuremberg comptaient jusqu’à quinze imprimeurs, Berlin n’a possédé le premier établissement de ce genre qu’en 1539, et sa première librairie que cent vingt ans après. En revanche, c’était un coupe-gorge, la ville d’Allemagne où les querelles et les meurtres étaient le plus fréquens.

Comme l’instruction et la science, l’art allemand se développe sous l’influence du catholicisme, partout si favorable à l’épanouissement des beaux-arts. Toutes les forces de cet art chrétien, symbolique et traditionnel, et tous les genres, sculpture, peinture, architecture, musique, tendent à la représentation des sentimens religieux ; par là il se rapproche bien plus de l’art antique que du nôtre. Remplie de statues, de tableaux, dans le clair-obscur fantastique de ses vitraux diaprés, l’église gothique est, comme le temple grec, le musée sacré, permanent, où le peuple est initié à la religion nationale, le théâtre où se jouaient les Mystères, ces drames chrétiens dont le sujet, analogue en cela à la tragédie grecque, avait l’avantage d’être familier à tous. De la magnificence, de l’exubérance de cet art du XVe siècle, nous ne pouvons nous faire une idée complète ; le vandalisme de la guerre des paysans, la fureur iconoclaste des luthériens et des calvinistes, les dévastations de la guerre de trente ans, nos invasions françaises, n’en ont laissé que des débris. Les parties de la cathédrale de Strasbourg