des hommes, plutôt que de les perdre, ont renoncé à la vie même. Les âmes sont devenues trop ardemment amoureuses de vraie liberté : il en est qui préfèrent la recherche pleine d’incertitude, le désespoir même[1], à cet âge idéal où le troupeau, dormant et docile sous la main du pasteur, paissait les plantureux pâturages avec une coupole d’église et le cercle étroit des vérités dogmatiques pour ciel et pour horizon. On connaît l’apologue du chien et du loup. Bien nourri, tout luisant, choyé par son maître, le chien invite le loup, qui n’a que la peau et les os, et que la faim a fait sortir du bois, à partager son sort béni. Mais la sauvage bête aperçoit sur le cou du chien domestique la trace du collier sacré :
- :Attaché ! dit le loup : vous ne courez donc pas
- :Où vous voulez ?…….
- :Cela dit, maître loup s’enfuit et court encor.
La liberté du XVe siècle, que vante M. Janssen, était, en réalité, une dictature des consciences, où chaque esprit indépendant se trouvait accablé du poids de tous les autres. Et ce qui achevait de rendre cette dictature intolérable à ces races que l’église, en les civilisant, avait préparées elle-même à l’indépendance, c’est que le principe d’autorité, appliqué dans toute sa rigueur, était entre les mains d’un sacerdoce avili, qui avait perdu le respect des peuples. Après s’être étendu sur le détail des bonnes œuvres, des bonnes mœurs, de l’activité charitable si répandue, M. Janssen nous indique l’envers du tableau ; il constate dans le haut clergé désordre et scandale, passion d’amasser, sans honte et sans mesure, les richesses que lui livraient la terreur ou la piété des mourans. L’église d’Allemagne était pourtant la plus riche de la chrétienté ; elle possédait un tiers de la propriété foncière, « ce qui rendait l’avidité des grands dignitaires ecclésiastiques d’autant plus condamnable. » On voyait les prélats vivre dans le luxe et dans la débauche : « Les femmes, disait-on, ne sont pas seules à laisser traîner leurs robes dans la boue, les prêtres en font autant. » Ce sont des mœurs semblables à celles qui ont signalé la fin de l’ancien régime en France, cumul des bénéfices, absence des évêques, hautes dignités de l’église réservées aux cadets des familles princières. La corruption s’était aussi glissée dans les choses religieuses. Pour accroître les libéralités des fidèles, des moines fabriquaient des miracles. Cette piété,
- ↑ « C’est à partir du XVIe siècle que la tendance au suicide devient plus prononcée. Cette recrudescence se lie au retour des études vers l’antiquité, au relâchement des croyances religieuses, à la liberté d’examen… » (Du suicide, par À. Brierro de Boismont. Paris, 1856, p. 32.)