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que M. Janssen nous décrit toute parfumée de simplicité et de grâce enfantines, était souvent purement mécanique. A certaines prières, une indulgence de 146 jours était accordée, à d’autres des indulgences de 7,000 à 8,000 ans. Une ferveur d’une exaltation pure et tendre s’alliait parfois à des rigueurs implacables. Depuis Jean Huss et Jérôme de Prague, que de victimes offertes à l’orthodoxie ! Le restaurateur violent et fanatique de l’inquisition en Allemagne, Jacques Sprenger, était aussi le fondateur d’une confrérie pour la répétition du saint rosaire, qui consiste en l’énumération de toutes les joies de Marie. Pour comprendre les hommes de ce temps, il faut se les figurer capables d’unir tous les contrastes, cruauté et dévotion, imagination fantastique et sèche scolastique[1].

Mais de grands changemens commençaient à s’opérer dans les esprits. A l’école des écrivains de l’antiquité, on apprenait à dédaigner la théologie, d’où était venue jusqu’alors toute lumière, on s’initiait à leur conception du monde, absolument opposée à celle du moyen âge. Les bouleversemens suivis de modifications profondes dans la vie d’un peuple sont toujours préparés par une propagande d’idées nouvelles, et toujours la pensée précède la hache. Les nouveaux humanistes, Érasme à leur tête, le voltaire du temps, mais un voltaire plein de modération, jouent dans la révolution du XVIe siècle un rôle analogue à celui de nos encyclopédistes. Leur talent d’écrire eut la même influence pour répandre leurs doctrines. Ils couvrent la scolastique de railleries, mettent à profit les vices de l’organisation ecclésiastique, préconisent la théorie antique de l’état, réclament la sécularisation des biens de l’église, et allument la guerre civile dans les esprits. Toutes les idées qui devaient agiter le XVIe siècle étaient répandues dès la fin du XVe, l’autorité du pape attaquée, la Bible entre beaucoup de mains. Jointe à la confusion politique, à l’impuissance de Maximilien pour maintenir au sein de l’empire un peu d’ordre et de paix, cette agitation cause un immense malaise, et la fin du siècle est pleine de ces pressentimens, de cette angoisse, qui précèdent les catastrophes.


II

Dans ce brillant exposé de l’ancien régime religieux en Allemagne, M. Janssen n’aperçoit pour ainsi dire le mal qu’à la surface, le fond lui semble de tous points excellent. Une réforme dans le catholicisme

  1. « Je ne sais, dit M. de Ranke, auquel nous empruntons ce passage, si un homme de saine raison, non égara par quelque chimère, peut désirer sérieusement que cet état de choses fût resté en Europe inébranlable et immuable. »