Dans notre Europe, où les besoins ont augmenté avec la civilisation, il semble qu’il ne devrait y avoir entre les budgets des différens peuples d’autre cause de diversité que le plus ou moins d’étendue de leur territoire, la densité plus ou moins grande de leur population, et le pouvoir plus ou moins élevé de l’argent, — le coût de la vie. Mais comme la richesse publique n’est pas la même en Espagne, en Russie, ou en Autriche, qu’en France ou en Angleterre, les nations sont vis-à-vis les unes des autres commodes particuliers qui proportionnent leur train à leur fortune. Il est admis que la France peut tenir sa maison sur un bon pied, se permettre même un luxe interdit à quelques-uns de ses voisins; s’ensuit-il de là que le chiffre et le traitement de notre personnel puissent être sans limites, comme si notre caisse était sans fond?
Comparons la France à elle-même : il y a soixante-six ans (1822), nous dépensions 950 millions ; nous en dépensons aujourd’hui 3.600. Notre territoire est resté le même à 200,000 hectares près ; notre population n’a cru que de 7 millions, soit un cinquième à peine, pendant que nos frais quadruplaient. Pour que les charges fussent les mêmes en 1888 qu’en 1822, il ne faudrait pas que le budget dépassât 1,800 millions au maximum, en tenant compte de la valeur relative de l’argent aux deux dates. En effet, 950 millions de francs, payés par 30 millions d’hommes, correspondent à 1,200 millions qui seraient payés par 37 millions de contribuables ; d’autre part, 1,200 millions de 1822 équivalent, à peu de chose près, à 1,800 millions de 1887, par suite de l’augmentation des prix, dans leur ensemble, évaluée par les économistes à 50 pour 100. Les services publics reviennent ainsi, tout compte fait, au double de ce qu’ils coûtaient il y a deux tiers de siècle. Cette prodigieuse augmentation est récente. En 1847, le budget ne montait qu’à 1,600 mil- lions, et en 1851 qu’à 1,450, et comme la population était, en 1851, de 35 millions, et que le pouvoir de l’argent avait déjà fort baissé depuis 1822, on peut dire que la France, au début du second empire, n’était pas plus chère à administrer qu’à la fin du règne de Louis XVIII.
La monarchie de Juillet avait fait de bonnes choses avec peu d’argent. De 1851 à 1870, la France continua à faire des placemens avantageux : ports, chemins de fer et routes vicinales ; mais elle fit aussi des spéculations malheureuses : trois ou quatre guerres entreprises, selon le mot du souverain d’alors, « pour une idée, » et même pour plusieurs, vinrent gonfler la dette. De 1,450 millions, le budget monta à 2,200 (1869). C’était certainement plus que l’accroissement de la richesse publique et de la population (38 millions d’habitans au lieu de 35). Il est vrai que notre patrie occupait