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de sang? C’est ce qu’on a souvent imputé à certains sectaires russes, aux khlysty spécialement. Ils ont été maintes lois soupçonnés de remplacer le vin eucharistique par le sang d’un enfant. On sait que cette sorte de cannibalisme sacré est un des reproches que les différens cultes se sont le plus fréquemment jetés à la face. Les chrétiens en ont été accusés par les païens ; les juifs par les chrétiens. Le plus grand nombre des khlysty ne mérite probablement pas plus cette sauvage imputation que celle d’immoralité. Certains traits nous inclinent cependant à croire que toutes les histoires de ce genre ne sont pas de pure invention. Elles s’accordent trop avec d’autres pratiques trop bien constatées chez ces singuliers mystiques.

Voici comment semblaient procéder à la communion les khlysty accusés d’unir les rites sanglans aux rites voluptueux. Au lieu de se servir uniquement, pour leur cène, de pain noir et d’eau, selon la coutume de la plupart des flagellans, ils se servaient de la chair ou du sang d’un enfant nouveau-né, non pas du premier enfant venu, mais du premier fils d’une jeune fille non mariée, érigée en sainte vierge ou mère de Dieu, bogoroditsa, et saluée comme telle dans les radéniia de la secte. « Tu es bénie entre toutes les femmes, lui disaient les prophétesses en se prosternant devant elle ; tu donneras naissance à un Sauveur dans les langes, et tous les rois viendront adorer le tsar céleste. » Durant cette parodie de la salutation angélique, les vieilles prophétesses dépouillaient la nouvelle sainte vierge de ses vêtemens; on la plaçait nue sur un autel, au-dessous des images, et les fidèles venaient, à tour de rôle, lui rendre une sorte de culte obscène, lui baisant les pieds, les mains, les seins, en se courbant devant elle avec force signes de croix. Ils l’appelaient souveraine reine du ciel, et la priaient de les juger dignes de communier de son corps très pur, lorsque, par le Saint-Esprit, naîtrait d’elle un petit christ (khristosik). Quand, à la suite des radéniia qu’elle était la première à danser, la bogoroditsa devenait enceinte, son enfant, si c’était une fille, devenait plus tard à son tour une sainte vierge. Si c’était un fils, un khristosik, il était immolé le huitième jour après sa naissance. A en croire certains récits, on lui perçait le cœur avec une lance analogue à la lance liturgique en usage dans l’église orientale pour couper le pain consacré. Le sang et le cœur de ce petit christ, mêlés à du miel et à de la farine, servaient à la confection des gâteaux eucharistiques. C’était ce qui s’appelait communier du sang de l’agneau ; car cette cène hideuse s’inspirait d’un sombre réalisme. À ces prétendus mystiques, il fallait pour la communion un vrai corps, un vrai sang. Quelques-uns communiaient, assure-t-on, avec le sang chaud de leur petit Jésus, et faisaient dessécher la chair pour la réduire en poudre et en préparer