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des documens que nous fournit la presse américaine, d’indiquer le point de départ et d’esquisser l’histoire.


II.

Depuis des siècles, la race anglo-saxonne est en possession du privilège, peu enviable, d’offrir le contraste des plus grandes fortunes et de la plus profonde misère. Les statistiques de l’Angleterre en font foi, et, aujourd’hui encore, c’est chez elle qu’on relève le plus grand nombre de millionnaires. En revanche, s’ils sont les plus nombreux, ils ne sont pas les plus riches, et, dans le livre d’or des grandes fortunes, les Américains occupent le premier rang.

Mais il importe tout d’abord de préciser la signification nouvelle de ce terme : millionnaire. Un millionnaire, suivant la phraséologie moderne inaugurée par sir Morton Peto et James Mac Henry, adoptée en Angleterre et aux États-Unis, n’est plus, en effet, un homme qui possède 1 million, conformément à l’unité monétaire du pays qu’il habite : 1 million de francs en France, de lires en Italie, de roubles en Russie, de piastres en Amérique. Pour simplifier et unifier le calcul, on a ramené cette unité monétaire à un type précis, à la livre sterling. Un millionnaire est donc un homme qui possède, où que ce soit qu’il réside, 1 million de livres sterling, soit, au minimum, 25 millions de nos francs ou l’équivalent.

En Angleterre, dans la dernière période décennale, nous relevons les noms de dix-huit personnes décédées dont les exécuteurs testamentaires ont déclaré que la fortune personnelle dépassait 1 million de livres sterling. Les chiffres varient entre £ 2,700,000 baron L.-N. de Rothschild, et sir David Baxter : £ 1,098,000. Vingt-quatre autres s’en rapprochent beaucoup, et si l’on tient compte qu’en raison des droits de mutation les déclarations sont toujours intérieures au chiffre exact, on peut affirmer qu’en dix années quarante-deux héritages, dépassant 25 millions de francs chacun, ont changé de mains. A l’exception du baron de Rothschild et de deux membres de la haute aristocratie anglaise : le duc de Portland, dont la succession s’élève à 38 millions, et le comte de Dysart, qui en a laissé 40, tous les autres noms qui figurent sur la première liste sont ceux de bourgeois enrichis, tels que M. J. Williams, du comté de Cornwal : 40 millions; M. J.-P. Heywood, de Liverpool : 50 millions; M. T. Baring, de Londres : 38 millions ; M. Langsworthy, de Manchester : 26 millions.

Il résulte aussi d’un examen attentif que, sauf quelques fortunes territoriales que protège l’entail, et dont le propriétaire, simple usufruitier du revenu, ne peut rien aliéner du capital, les grandes