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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/171

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l’après-midi, l’or était à 144. En cette seule journée, les transactions dépassèrent 230 millions de dollars (1,200 millions de francs.) Toute l’attention se concentrait sur Jay Gould. Pendant plusieurs jours les affaires furent suspendues. De toutes les parties du monde l’or affluait à New-York. L’encaisse métallique des banques d’Angleterre et de France diminua ; le télégraphe transmettait des ordres de vente et d’achat par millions à la fois. Jamais New-York n’avait assisté à pareil spectacle : l’or montant sans cesse, gagnant vingt unités en deux jours, s’accumulant dans les mains d’un seul homme.

« Des placards affichés demandaient la tête de celui qui mettait l’état en péril ; on menaçait de le pendre haut et court. Au milieu de cette tempête, dans laquelle des fortunes sombraient en quelques instans, ce petit homme pâle, maigre, silencieux, dont le nom était dans toutes les bouches, dirigeait la campagne du fond de son cabinet, dont une bande de pugilistes armés défendait l’accès. Avec un calme imperturbable, il transmettait ses ordres, qui révolutionnaient le marché monétaire des États-Unis. Un courtier allemand, Speyer, achetait en quelques heures pour 200 millions d’or et devenait fou au milieu des menaces dont il était l’objet ; un autre, Jim Fisk, tombait la tête cassée d’une balle de revolver. »

Prises à l’improviste par cette hausse inattendue de l’or qui montait à 160 et par la dépréciation du papier et des valeurs, vingt-sept maisons de banque de premier ordre suspendaient leurs paiemens, entraînant avec elles un grand nombre de maisons de commerce. A la demande des négocians et des financiers atterrés, le conseil des ministres se réunissait à Washington. Le président et les membres du cabinet absens, mandés en toute hâte, accouraient pour conjurer un plus grand désastre. Le ministre des finances recevait l’ordre de commencer les ventes d’or et de mettre 220 millions à la disposition des banques d’état, obligées de restreindre leurs avances sur dépôts de titres[1]. Mais Jay Gould avait devancé ces mesures; opérant une volte-face hardie, profitant des hauts cours pour réaliser sur l’or, des bas cours qui entraînaient toutes les valeurs pour acheter des actions, il sortait de cette crise formidable plus riche que jamais, roi incontesté des chemins de fer américains.


VII.

Cornélius Vanderbilt fut celui des bateaux à vapeur, et il s’en fallut de peu que ce devancier de Jay Gould ne réunît entre ses

  1. Harper’s Weekly, 4 octobre 1873, New-York.