Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et il manœuvra si bien que le Merrimac, bloqué, n’osa pas se mesurer avec ce redoutable adversaire et dut désarmer dans son anse.

Ce danger écarté.. Vanderbilt remit à un officier de marine le commandement de son navire, offrant au gouvernement d’en disposer jusqu’à la fin de cette guerre, qui devait, outre ses contributions volontaires, lui coûter la vie de son fils favori. La paix conclue, le gouvernement garda le Vanderbilt, faisant voter par le congrès des remercîmens à son généreux propriétaire. Vanderbilt accueillit fort mal la délégation chargée de lui remettre copie des résolutions du congrès, demandant si c’était ainsi que devait se conduire un grand pays, et de quel droit il s’appropriait ce qui n’était qu’un prêt. Déconcertés, les délégués lui représentèrent qu’il devait y avoir un malentendu et qu’on lui rendrait son navire.

— Allez au diable! répliqua le commodore exaspéré, et gardez-le, puisque vous l’avez pris. Ce n’est pas une affaire pour moi, il m’en reste bien d’autres.

Et il disait vrai. Sa flotte comptait alors près de cent navires, disséminés sur toutes les mers.

La mort de son fils cadet, son favori, lui fît enfin tourner les yeux vers William, son aîné, qui menait habilement sa ferme et commençait à prospérer. Il l’observait avec attention, sans l’aider toutefois, désireux de voir s’il se tirerait seul d’affaire. Une circonstance singulière lui fit bien augurer de l’avenir de ce fils et amena entre eux un rapprochement inattendu. William offrit un jour à son père de lui acheter le fumier de ses écuries. Il en avait besoin pour sa ferme, et le transportait chez lui de l’autre côté de la baie à bord d’un chaland.

— Combien m’en donneras-tu? dit le commodore.

— Quatre dollars le chargement.

— C’est entendu, répondit le commodore, plus convaincu que jamais que son fils n’entendait rien aux affaires, le prix proposé étant double de celui qu’il eût accepté.

Le lendemain, il se rend au débarcadère et y trouve son fils. Le chaland, chargé, allait mettre à la voile.

— Combien de chargemens y a-t-il là, Bill?

— Combien?.. mais un seul.

— Allons donc! Il y en a trente au moins.

— Du tout. Quand je traite pour un chargement, j’entends tout ce que le chaland peut porter.

Et il prit le large, laissant le commodore stupéfait. Le matelot témoin de l’anecdote ajoutait : il resta là tant que le chaland fut en