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ville de Baltimore pour un institut, 10 millions à la ville de Londres pour construire des maisons ouvrières, 15 millions aux états du Sud pour des écoles publiques, sans compter nombre d’autres donations.

L’assertion était hasardée alors: elle le serait plus encore aujourd’hui. Il y a limite à tout, et les États-Unis eux-mêmes s’accommoderaient mal de quelques centaines d’individualités aussi colossalement riches que l’est M. Jay Gould et que l’était M. William H. Vanderbilt. Tout d’abord, il va sans dire que la quantité de numéraire existant dans le monde serait loin d’y suffire. Les calculs les plus autorisés[1] évaluent, en effet, à 18 milliards 750 millions la valeur de l’or monnayé, et à 15 milliards la valeur de l’argent monnayé en circulation dans le monde entier, soit 33 milliards 750 millions en numéraire, et 19 milliards 125 millions en papier-monnaie, ensemble 52 milliards 875 millions.

À ces chiffres il convient d’ajouter, pour se rendre un compte exact de la quantité d’or et d’argent que l’univers possède, celle qui est immobilisée en objets fabriqués, bijouterie, orfèvrerie, etc., dont le total est évalué, au minimum, à 25 milliards. Enfin, et ce qui n’est pas pour décourager les chercheurs de trésors, des calculs, qui ne sauraient être qu’hypothétiques[2], portent à 15 milliards la valeur des métaux précieux enfouis dans des cachettes ou engloutis par la mer. Les statistiques américaines nous donnent, pour une population de 52 millions d’habitans, une circulation totale de 7 milliards 505 millions numéraire et papier-monnaie. Il convient d’ajouter que les mêmes statistiques évaluent à 294 milliards la richesse totale de la grande république, et que chaque année cette richesse s’accroît et cette population s’augmente.

Il n’en est pas moins vrai que l’équilibre est rompu ; que l’aisance générale moyenne fait place à la misère et à l’opulence ; que la vieille Europe et la jeune Amérique se trouvent en face des mêmes problèmes, et que, par un étrange revirement des choses d’ici-bas, ces problèmes semblent plus compliqués et plus menaçans là où, hier encore, on niait qu’ils pussent être jamais posés.


C. DE VARIGNY.

  1. Extracts from Report of the U. S. Mint to Treasury Department, 1882.
  2. Deutsches Handelsblatt : Bremen.