irrévocablement au pouvoir de Kalayéni. De loin ou de près, ils restaient ses esclaves. Essayaient-ils de lui désobéir, de lui échapper, à quelque distance qu’ils fussent, ils croyaient voir se dresser devant eux le terrible magicien entouré de ses reptiles, ils se voyaient environnés de leurs têtes sifflantes, paralysés par leurs yeux fascinateurs. Kansa demanda à Kalayéni son alliance. Le roi des Yavanas lui promit l’empire de la terre, à condition qu’il épouserait sa fille.
Fière comme une antilope et souple comme un serpent était la fille du roi magicien, la belle Nysoumba, aux pendeloques d’or, aux seins d’ébène. Son visage ressemblait à un nuage sombre nuancé de reflets bleuâtres par la lune, ses yeux à deux éclairs, sa bouche avide à la pulpe d’un fruit rouge aux pépins blancs. On eût dit Kali elle-même, la déesse du Désir. Bientôt elle régna en maîtresse sur le cœur de Kansa, et soufflant sur toutes ses passions en fit un brasier ardent. Kansa avait un palais rempli de femmes de toutes les couleurs, mais il n’écoutait que Nysoumba.
— Que j’aie de toi un fils, lui dit-il, et j’en ferai mon héritier. Alors je serai le maître de la terre et je ne craindrai plus personne. Cependant Nysoumba n’avait point de fils, et son cœur s’en irritait. Elle enviait les autres femmes de Kansa dont les amours avaient été fécondes. Elle faisait multiplier par son père les sacrifices à Kali, mais son sein demeurait stérile comme une terre brûlée par la fièvre. Alors le roi de Madoura ordonna de faire devant toute la ville le grand sacrifice du feu et d’invoquer tous les Dévas. Les femmes de Kansa et le peuple y assistèrent en grande pompe. Prosternés devant le feu, les prêtres invoquèrent par leurs chants le grand Varouna, Indra, les Açwins et les Marouts. La reine Nysoumba s’approcha et jeta dans le feu une poignée de parfums d’un geste de défi, en prononçant une formule magique dans une langue inconnue. La fumée s’épaissit, les flammes tourbillonnèrent, et les prêtres épouvantés s’écrièrent :
— Ô reine, ce ne sont pas les Dévas, mais les Rakshasas qui ont passé sur le feu. Ton sein restera stérile. — Kansa s’approcha du feu à son tour et dit au prêtre :
— Alors dis-moi de laquelle de mes femmes naîtra le maître du monde ?
À ce moment, Dévaki, la sœur du roi, s’approcha du feu. C’était une vierge au cœur simple et pur qui avait passé son enfance à filer et à tisser, et qui vivait comme dans un songe. Son corps était sur la terre, son âme semblait toujours au ciel. Dévaki s’agenouilla humblement, en priant les Dévas qu’ils donnassent un fils à son frère et à la belle Nysoumba. Le prêtre regarda tour à tour le feu et la vierge. Tout à coup il s’écria plein d’étonnement :