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LA LÉGENDE DE KRISHNA.

— Ô roi de Madoura, aucun de tes fils ne sera le maître du monde ! Il naîtra dans le sein de la sœur que voici.

Grande fut la consternation de Kansa et la colère de Nysoumba à ces paroles. Quand la reine se trouva seule avec le roi, elle lui dit :

— Il faut que Dévaki périsse sur-le-champ !

— Comment, répondit Kansa, ferais-je périr ma sœur ? Si les Dévas la protègent, leur vengeance retombera sur moi.

— Alors, dit Nysoumba pleine de fureur, qu’elle règne à ma place et que ta sœur mette au monde celui qui te fera périr honteusement. Mais moi, je ne veux plus régner avec un lâche qui a peur des Dévas, et je m’en retourne chez mon père Kalayéni.

Les yeux de Nysoumba lançaient des feux obliques, les pendeloques s’agitaient sur son cou noir et luisant. Elle se roula par terre, et son beau corps se tordit comme un serpent en fureur. Kansa, menacé de la perdre et fasciné d’une volupté terrible, fut saisi de peur et mordu d’un nouveau désir.

— Eh bien ! dit-il, Dévaki périra ; mais ne me quitte pas. Un éclair de triomphe brilla dans les yeux de Nysoumba, une onde de sang empourpra son visage noir. Elle se releva d’un bond et enlaça le tyran dompté de ses bras souples. Puis, l’effleurant de ses seins d’ébène d’où s’exhalaient des parfums capiteux et le touchant de ses lèvres brûlantes, elle murmura à voix basse :

— Nous offrirons un sacrifice à Kali, la déesse du Désir et de la Mort, et elle nous donnera un fils qui sera le maître du monde !

Cependant, cette nuit même, le pourohita, chef du sacrifice, vit en songe le roi Kansa qui tirait l’épée contre sa sœur. Aussitôt il se rendit chez la vierge Dévaki, lui annonça qu’un danger de mort la menaçait, et lui ordonna de s’enfuir sans tarder chez les anachorètes. Dévaki, instruite par le prêtre du feu, déguisée en pénitente, sortit du palais de Kansa et quitta la ville de Madoura sans que personne s’en aperçût. De grand matin, les soldats cherchèrent la sœur du roi pour la mettre à mort, mais ils trouvèrent sa chambre vide. Le roi interrogea les gardiens de la ville. Ils répondirent que les portes étaient restées fermées toute la nuit. Mais dans leur sommeil ils avaient vu les murs sombres de la forteresse se briser sous un rayon de lumière, et une femme sortir de la ville en suivant ce rayon. Kansa comprit qu’une puissance invincible protégeait Dévaki. Dès lors, la peur entra dans son âme, et il se mit à haïr sa sœur d’une haine mortelle.

II. — LA VIERGE DÉVAKI

Quand Dévaki, habillée d’un vêtement d’écorces qui cachait sa beauté, entra dans les vastes solitudes des bois géans, elle chan-