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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/351

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de Descartes et de Leibniz, un simple aperçu historique donnerait satisfaction à de légitimes exigences.

Il est une autre philosophie que la vieille métaphysique, et celle-là semble bien près de s’offrir à l’activité de nos jeunes professeurs, une philosophie qui a pour fondement essentiel les phénomènes de la nature, celle que visait Descartes, encore dépourvue des élémens qui en permettent la pratique. C’est par la connaissance des fonctions de la vie chez les différens êtres, c’est par une juste appréciation de l’esprit des bêtes qu’on se prépare à l’étude de l’esprit humain : la psychologie. Avec les conditions d’enseignement dont le tableau a été esquissé, les dissertations sur les écrits philosophiques désormais bannies, une année tout entière nous reste pour assurer les résultats d’une instruction qui s’acquiert surtout par l’observation et l’expérience.

Il est remarquable de voir comment, dans la meilleure société, presque tout le monde se contente des définitions les plus vagues. On écoute un récit sortant de la bouche de personnes qui passent pour être fort éclairées ; on lit dans un ouvrage certaines descriptions, et l’on est frappé de n’avoir pu saisir aucun fait précis. A la façon trop habituelle de s’exprimer, il y a des inconvéniens; mais, avec le système d’instruction en usage, c’est inévitable. Autour de la table, dans un festin, lorsqu’est apporté le plat d’asperges, voilà les convives en joie et en admiration. Que ces asperges sont belles ! Quelle excellente chose que les asperges ! s’avise-t-on de prier un des assistans de dire ce que c’est qu’une asperge, sur les visages se manifeste un ahurissement : personne ne le sait; les uns gardent le silence, les autres ricanent d’un air hébété, afin de se donner une contenance, et aussi pour marquer le mépris que leur inspirent des connaissances de cet ordre. Des asperges : on les mange, chacun pense, et cela suffit. On ira jusqu’à trouver que ce sont des légumes, au même titre que les pommes de terre et les haricots. Au salon, on parle de chevaux; il y a là de fins connaisseurs. On vante l’attelage d’un homme riche; on cite avec enthousiasme les chevaux de selle d’une écurie renommée. Au milieu du groupe de personnages vaniteux, s’il était permis de demander qu’on veuille bien apprendre à un ignorant ce que c’est qu’un cheval, la question semblerait prodigieuse. Il ne faut pas en être surpris : il y a très brillante société où l’on se plaît à déclarer que l’écrevisse est un poisson. Dans les sciences, il est de premier principe de définir les corps d’une façon rigoureuse. Avec la méthode et les procédés aujourd’hui réclamés, l’habitude des vraies définitions prise dès la jeunesse aurait la plus heureuse influence dans les actes, dans la manière de concevoir et d’exprimer ses idées à l’égard de tous les