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sujets. Malgré une indifférence assez habituelle, tout le monde reconnaît combien dans la façon de rapporter les faits, soit par la parole, soit par l’écriture, on a en général médiocre souci de la parfaite exactitude. Un événement a eu des témoins plus ou moins attentifs ; les récits abondent, et, sur des points essentiels, ils sont contradictoires. À discerner ouest le vrai, le plus avisé se débat en efforts stériles. Une conversation sérieuse a été entendue ; elle va être l’objet de mille commentaires, et tous les termes sont autres que ceux des interlocuteurs ; les assenions sont exagérées ou travesties, les intentions faussées et le sens général complètement dénaturé. Tous les jours, en effet, chacun trouve de bonnes raisons pour se récrier : on lui affirme qu’il a pris part à un acte dont il n’a pas même eu connaissance ; on lui attribue des relations avec des personnes dont il ignore jusqu’à l’existence ; on lui prête les opinions les plus éloignées des siennes. Il se révolte en apprenant qu’on le cite comme ayant tenu des discours capables de blesser ses propres sentimens… À l’égard de la négligence dans le soin de se mettre en régie avec la réalité, les plaintes sont fréquentes, et pourtant on est si bien accoutumé à être en butte à des erreurs de tout genre qu’on n’y voit rien de bien extraordinaire. D’ailleurs, la plupart du temps, on se montre si crédule, que les faits les plus controuvés sont reçus avec faveur dans une société qui songe rarement à réclamer un contrôle. Nulle déconsidération n’atteint l’auteur de récits entachés d’exagération ou de malignité dans les interprétations. On va même jusqu’à excuser chez le biographe ou l’historien l’esprit de parti qui l’entraîne loin de la vérité, c’est que, pendant les classes, la réflexion des enfans est à peine sollicitée sur des faits précis ou sur des comparaisons faisant ressortir où est le vrai. Le jour où sera reconnue la nécessité de soumettre la jeunesse à des études qui appellent l’observation et l’expérience personnelles, un changement sensible ne tardera guère à s’établir dans les habitudes de la vie. On verra beaucoup s’étendre, sinon se généraliser, les sentimens qui demeurent aujourd’hui le partage d’un petit nombre : la crainte de l’erreur, la passion de la vérité. Ce n’est pas tout encore. Par l’observation constante des objets que la nature a répandus autour de nous, on en vient aisément à n’aimer que l’exactitude rigoureuse ; la pratique, mieux que toutes les dissertations, fixe l’esprit sur le caractère de la certitude.

Pour s’orienter au milieu d’affaires compliquées, pour conduire de grandes opérations, il faut se tracer une méthode. Longtemps les hommes ne disposèrent que des méthodes qu’ils imaginaient. Tout d’abord, les savans eux-mêmes ne classèrent les plantes et les animaux que d’après des signes choisis de la façon la plus arbitraire. Aujourd’hui, nous sommes en possession de la plus admirable