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qui ont transformé le monde, tant a été grande la puissance des paroles d’évangile. Mais le pouvoir temporel des papes a d’autres origines : les services depuis longtemps rendus, toutes ces négociations célèbres, l’ambassade de Léon auprès d’Attila, les traités de Grégoire le Grand et de ses successeurs avec les Lombards, la défense de la ville et de l’Italie, le pain donné aux pauvres, l’honnêteté de tous ces pontifes, une politique simple et persévérante, la majesté de successeur de Pierre. L’apôtre avait bien mérité de Rome. S’il n’avait adossé son siège au rocher désert du Capitule, la vieille capitale, dédaignée déjà par les derniers empereurs, serait tombée dans l’oubli. L’éternité promise par les destins aurait été celle d’une ruine hantée par la fièvre.

L’acquisition de la souveraineté ne donna pas tout d’abord au pape la quiétude. Sa situation à Rome était singulière. Il dit bien que la Ville appartient à Pierre, mais, en droit, elle est toujours à l’empereur. En fait, Pépin n’a cédé à Etienne que ce qu’il a conquis sur les Lombards; or il n’a point pris la Ville : il n’y a pas même paru. Les représailles des Byzantins, qui possédaient le midi de la péninsule, et une attaque nouvelle des Lombards, étaient toujours possibles. Aussi le pape a-t-il conclu avec les Francs une alliance qui durera jusqu’à la consommation des siècles. Chacun y trouvera son profit. Le pape aura les Francs pour « auxiliaires et pour coopérateurs. » S’il est réduit à de telles misères que « les pierres mêmes déplorent sa tribulation avec de grands hurlemens,» c’est à eux « qu’après Dieu et le prince des apôtres il confiera son âme et les âmes du peuple romain. » Pour leur part, les Francs auront la gloire d’être le peuple choisi par l’apôtre. Dans la lettre qu’il a pris la peine de leur écrire, saint Pierre rappelle les paroles divines, celles qui ont été dites à tous les disciples : « Allez et enseignez les nations, » celles qui ont été adressées à lui seul : « Fais paître mes brebis, » mais surtout: « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon église... et je te donnerai les clés du royaume des cieux, et tout ce que tu lieras sur terre sera lié au ciel, et tout ce que tu délieras sur terre au ciel sera délié. » Après avoir ainsi produit ses pouvoirs, le pécheur de Galilée fait cette déclaration solennelle : « Selon la promesse qui nous a été faite par le Seigneur Dieu notre rédempteur, je vous prends entre toutes les nations, vous, peuple des Francs, pour mon peuple spécial. « Il s’entoure du cortège de toutes les gloires et de toutes les puissances d’en haut, Marie, mère de Dieu, les trônes, les dominations et toute l’armée de la milice céleste, des martyrs et confesseurs de Dieu. Il promet pour cette vie la prospérité, la victoire sur tous les ennemis, et pour l’autre l’éternelle béatitude. Victoire et paradis :