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voilà la double récompense; elle sera le centuple des peines que dépenseront les Francs dans le « combat » auquel l’apôtre ne cesse de les convier. Le pape présente à ces guerriers le Sauveur comme le Dieu des armées, qui donne la victoire n par l’intercession de son prince des apôtres. » — « Au jour du jugement terrible, Jésus-Christ demandera compte à chacun de la façon dont il aura combattu pour la cause de Pierre. » C’est donc l’épée qui coupera les liens du péché ; par les champs de bataille passe la route qui mène vers la paix éternelle. Voilà la religion militaire du moyen âge, la religion des croisades. Elle ressemble en quelques points à celle d’Odin et de Mahomet.

Quant au roi des Francs, il a déjà reçu son salaire. « Ce qui n’a été fait pour aucun de vos ancêtres, lui écrit Etienne, a été fait pour vous... Par notre humilité, le Seigneur vous a sacré roi. » Le sacre, en effet, était une nouveauté chez les Francs. Aucun des Mérovingiens ne l’avait reçu. Cette cérémonie mystique élevait le roi au-dessus du peuple, d’où il était sorti. Les Francs avaient élu Pépin, mais, le jour du sacre, le pape leur a interdit à jamais de se servir de leur droit d’élection. Désormais les « reins » du roi et de ses fils sont sacrés. Dieu y a mis le pouvoir d’engendrer une race de princes que les hommes, jusqu’à la fin des temps, ne pourront renier sans être reniés par le Seigneur. Autrefois, les guerriers portaient leur chef sur le bouclier, au bruit des armes et des acclamations; à Saint-Denis, ce n’est pas un homme, c’est une dynastie qui a été élue au chant des cantiques. Le Seigneur a repris aux hommes le pouvoir de faire des rois. C’est lui qui « les choisit dès le sein de leur mère. » La raison de régner, la source de l’autorité royale sera désormais la grâce de Dieu.

Cette grandeur nouvelle était le prix des obligations contractées envers le saint-siège. Les unes étaient précises : le roi devait procurer au pape tous les bénéfices de la donation. A chaque instant, Etienne rappelle à Pépin cet acte signé par lui : « Votre donation écrite de votre main, sachez que le prince des apôtres la tient et la tient bien. » Les autres sont vagues et, par conséquent, redoutables. Elles s’étendent à tout le service de Pierre, à « toutes ses utilités. » Qui pourrait les définir? La grâce que le pape a faite au roi, à sa femme, à ses fils, n’est-elle pas infinie? Déjà Etienne semble croire que Pépin a reçu de lui toute sa fortune. Pour les générations qui vont venir, c’est le pape qui aura ordonné la déposition de Childéric, et tous les droits de la dynastie nouvelle procéderont du sacre. La grande équivoque a donc commencé. Samuel et David sont remis en présence. Aussitôt la question se pose : lequel est le plus grand? Samuel-Etienne s’est agenouillé devant Pépin-David, mais il a fallu