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publique. Notre population, et c’est un péril social bien autrement grave que celui du logement, notre population ne s’accroît plus d’une manière sensible, et nos vides ne sont guère comblés que par l’immigration. Comme, d’un autre côté, on a généralement en France le goût du bâtiment, tout le monde trouve à peu près à se loger. Le recensement de 1881 a constaté, dans le pays tout entier, l’existence de 10,460,000 familles et de 7,609,464 maisons, ce qui donne en moyenne 136 ménages pour 100 maisons; de telle sorte qu’en dehors des villes, chaque famille a son logis indépendant. Dans les petites localités, la population ouvrière habite les faubourgs. Elle y trouve, à des prix modérés, des maisonnettes avec de petits jardins dont elle retire quelques produits. La pénurie n’existe que dans les grands centres, où le nombre des habitans va toujours croissant, où les grands travaux d’utilité publique nécessitent de temps en temps la démolition d’une partie des quartiers pauvres, et même dans ce milieu c’est plutôt la qualité que la quantité qui fait défaut. A Paris, particulièrement, il est plus urgent d’assainir que d’édifier. La besogne est moins dispendieuse, mais elle est plus ingrate et plus difficile. Elle demande le concours de l’état et celui des bonnes volontés privées. C’est à l’autorité administrative qu’il appartient de surveiller les habitations des pauvres, de les faire assainir, réparer par les propriétaires, lorsqu’elles sont susceptibles d’être améliorées, et d’en exiger la démolition dans le cas contraire.

En France, ce devoir est imposé par la loi du 13 avril 1850. Mais le caractère facultatif de celle-ci, ses lenteurs juridiques et sa sanction pénale insuffisante, laissent le plus souvent les municipalités désarmées et impuissantes. Les conseils d’hygiène et de salubrité, institués par l’arrêté du 18 décembre 1848 et confirmés par la loi de 1850, avaient été créés principalement en vue de l’assainissement des habitations, et ils auraient atteint ce but, avec le temps, s’ils avaient été constitués partout ; mais, comme leur existence était subordonnée à la volonté des conseils municipaux, la plupart des communes se dispensèrent d’en former, et, trente-cinq ans après la promulgation de la loi, c’est à peine s’il existait, en France, une dizaine de grandes villes pourvues d’une commission des logemens insalubres, fonctionnant d’une façon sérieuse.

Ces commissions, du reste, sont dépourvues de toute initiative et ne peuvent visiter que les logemens qui leur sont signalés. Le plus souvent, c’est par la voie de la délation que les indications leur arrivent. Dans les deux tiers des cas, les plaintes proviennent des locataires insolvables, menacés d’expulsion, et qui se vengent de leurs propriétaires en les dénonçant. Les poursuites sont presque toujours stériles. La loi laisse aux délinquans tant d’échappatoires