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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/469

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des Surprises du divorce, elle paraîtrait moins amusante qu’au Théâtre-Français; elle y perdrait, en même temps, un peu de son prestige, un peu de sa dignité littéraire. Il faut donc pardonner à quelques amateurs de spectacles, si, même à la vue de ce triomphe, ils ne renoncent pas à rêver un art dramatique un peu différent de celui-là, et peut-être un art nouveau. Fatigués du talent des hommes, ils s’écrient, comme des précurseurs :


Qui de nous, qui de nous va devenir un dieu !


Une déesse, au moins, n’est-ce pas une déesse qui apporte à l’Odéon ce petit drame ? Ce n’est pas une mortelle, vous le savez, ô habitans de Paris et de New-York ! c’est Mme Sarah Bernhardt. Use peut que son opuscule soit exécrable ou fol ; il ne se peut pas qu’il soit ordinaire. — Hélas ! ce n’est qu’une déesse de théâtre, et l’Aveu n’est qu’un acte où se trouvent ramassés tous les ingrédiens habituels d’un grand drame romanesque : on dirait d’un civet comprimé, facile à emporter en voyage, fait d’un lièvre fourni par M. Ohnet, épicé fortement selon la dernière recette de M. Sardou… Un général, sa femme, son neveu ; plus, un enfant qui se meurt, à la cantonade. La femme, par une inspiration soudaine, avoue au général que cet enfant est né d’un viol, subi avec complaisance ; elle le conjure en même temps de laisser entrer son neveu, qui est médecin et qui frappe à la porte : « Non ! non ! dit le général, pas avant que vous m’ayez nommé le misérable… » (Vous le voyez, c’est la comtesse Sarah, du Gymnase, mariée au baron Scarpia, de la Porte-Saint-Martin.) — « Mais vous tuez mon enfant !.. — C’est vous qui le tuez, madame ! — Ouvrez donc à son père ! » Le coup de théâtre est vigoureux ; mais les préparations manquent trop pour qu’on s’intéresse à une telle crise : les personnages sont des inconnus. La fin de la pièce est assez vaine : le neveu promet de se brûler la cervelle ; à ce prix, le général lui pardonne ; mais l’enfant expire, et le général se déclare satisfait… On applaudit justement Mlle Sisos et M. Paul Mounet; on applaudira plus encore Mme Sarah Bernhardt elle-même avec un partenaire quelconque, dans sa prochaine tournée. C’est égal, l’Aveu n’est pas le lever de rideau du théâtre de l’avenir.

Une autre femme, — la fille d’un dieu, celle-ci, — Mme Judith Gautier, est allée jusqu’au Japon (d’aucuns disent en Chine) quérir cette légende dramatique, la Marchande de sourires; elle appartient, cette légende, à un passé si lointain, qu’elle trompe agréablement notre appétit de nouveauté. Les lamentations d’une jeune mère, auprès de qui son époux, maître absolu, installe une concubine ; l’arrogance de celle-ci, la mort de celle-là, qui expire de douleur, tout simplement ; et plus tard, bien des années après la ruine de la maison et la dispersion de la famille, la rencontre du père et du fils sur une place publique, et