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l’influence réciproque exercée par l’un de ces deux mouvemens sur l’autre. C’est comme la double action de deux peuples réunis dans la même société politique : un rôle différent les anime sans qu’ils cessent de tendre vers un même but. D’un côté, la ville aristocratique groupée autour du foyer de Vesta : l’autorité politique, civile et religieuse y est entre les mains des chefs de famille entourés de leurs cliens et diversement groupés au sénat ou dans les curies. Patriciens et cliens composent, dans l’enceinte du pomerium, ce que les historiens anciens désignent par le mot populus. Mais au-delà des murs, dans la campagne, c’est la plebs qui habite. Elle s’est formée tout d’abord de la population venue à la suite des grandes familles patriciennes sans un lien de cliens à patrons ; elle s’est grossie des adjonctions amenées par la guerre. L’accès de la cité aristocratique lui était fermé d’abord ; elle s’est cependant fortifiée de jour en jour ; elle s’est fait respecter par la sévérité de ses mœurs ; elle s’est enrichie par la vente de ses produits, les jours de marché, au forum ; elle a pu bientôt entreprendre la lutte contre les patriciens pour le partage des droits religieux, civils et politiques. Après avoir pris sa virile part dans les travaux militaires pour agrandir l’état et fonder la puissance publique, elle s’est fondue finalement dans la cité unifiée. Cette plèbe rustique ne doit pas être confondue avec l’autre, avec celle qui primitivement existe à peine, qui insensiblement se forme au cœur même de la cité patricienne, avec ceux des cliens que laisse indépendans ou sans appui la déchéance ou la mort de leurs patrons. De ces hommes-là seront composées par la suite les quatre tribus de la ville, et ce sera là cette plèbe urbaine qui, misérable, sans énergie, sans dignité, sans vertu, deviendra dès le temps des Gracches la vile multitude de Rome. La dualité persistante pendant les cinq premiers siècles, entre le populus et la plèbe rustique, a été reconnaissable dès l’origine à bien des signes, tels que le partage entre les pagi de la campagne et les vici de la ville, la différence entre l’assemblée centuriate, réunie au Champ de Mars, hors de Rome, et l’assemblée curiate, réunie dans Rome même, au comitium ; la prééminence toute patricienne des premières centuries sur les votes des comices centuriates ; la nécessité pour les votes des centuries d’être confirmés à l’aide des votes des curies. Cette dualité perce encore dans la distinction entre les comices par tribus, que les patriciens dédaignent, et les comices par curies, qui n’admettent pas les plébéiens, enfin dans cette opposition étrange entre la dictature, tout aristocratique, et le tribunat, exclusivement populaire. Le patriciat n’a traité d’abord avec les gens de la plèbe rustique que comme avec des étrangers et sur le pied du droit des gens, de sorte que