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C’était le régime d’une aristocratie d’argent, qui confisquait le droit électoral.

La réforme de 241 mit en quelque mesure un terme à cette inégalité. La première classe ne disposa plus d’une si grande autorité dans les comices. Il fallut désormais, pour atteindre la majorité, continuer le vote jusqu’à la troisième classe inclusivement ou même jusqu’à la quatrième. Bien plus, tandis qu’autrefois le droit de premier vote, — droit décerné par le sort, et de nature à exercer une profonde influence par suite de certaines idées superstitieuses, — appartenait à l’une des centuries nobles placées à part et en tête de la première classe, désormais, au contraire, la centurie dite prérogative (à cause de ce privilège de premier vote) fut désignée par la voie du sort entre toutes les centuries de la première classe, et l’on voit dans Tite-Live les tribus rustiques appelées fréquemment à l’avantage et à l’honneur de fournir cette centurie.

La constitution ainsi transformée vers l’année 240 consacra donc un réel progrès de l’ancienne plèbe, un ascendant marqué de l’aristocratie municipale sur l’aristocratie urbaine. Les diverses parties de la cité furent mieux réunies, dans un système civil et politique plus conforme à la réalité des faits et à la prépondérance acquise. Une sorte de classe moyenne parvenait à se faire jour entre le sénat et le peuple, et l’instrument de cette élévation était la richesse rapidement accrue, nous dirons par quels moyens. Un grand changement s’était accompli aux dépens de l’aristocratie, dans un sens que nous pouvons bien appeler plébéien et démocratique.

La multiple révolution, contemporaine des guerres puniques, que nous essayons de décrire dans son ensemble, ne s’est pas produite seulement par une décroissance du pouvoir de la monnaie, par un enchérissement des produits, par une augmentation des chiffres du cens, par une réforme de la constitution ; elle a entraîné, outre tout cela, une réforme juridique, tant il est vrai que l’apparition de la richesse a été pour cette primitive société romaine un ferment de transformation profonde. C’est en l’année 242 qu’au préteur de la ville fut adjoint un préteur dit pérégrin, chargé de la juridiction entre Romains et étrangers, entre les membres de l’ancienne cité et les citoyens privés du droit de propriété quiritaire. La conséquence de l’institution nouvelle fut, à la suite de la loi Æbutia, qu’il faut dater probablement de l’année 234, la substitution de la procédure formulaire aux actions de la loi ; c’est-à-dire que l’autorité toute religieuse du vieux droit pontifical fut remplacée par les édits sans cesse perfectibles d’une magistrature qui se régla sur les progrès du droit civil. Les édits prétoriens allaient créer un droit commun aux membres de l’ancienne cité et aux étrangers, et