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l’acceptait comme un mandat de l’opinion et du parlement. Par le fait, la France était la victime d’une série de faux jugemens et d’illusions. En se faisant trop égyptienne, en prenant trop vivement parti pour un vassal émancipé de la Porte, elle déviait des plus anciennes traditions de sa diplomatie et subordonnait à un engouement de circonstance l’intégrité de l’empire ottoman. De plus, elle se fiait trop au génie et aux conquêtes du vieil Arnaute, son protégé du Nil, qu’elle croyait invincible. Elle ne voyait pas enfin qu’à vouloir manœuvrer entre toutes les diplomaties avec l’espoir de les évincer, elle jouait un jeu redoutable, que, loin de diviser les autres puissances, elle risquait de les réunir, et de les réunir contre elle, ou du moins en dehors d’elle.

C’est ce qui arrivait. C’est le secret de ce traité du 15 juillet 1840 que l’Angleterre, la Russie, l’Autriche et la Prusse signaient à Londres sans nous consulter, et qui allait réveiller en France les ressentimens de l’orgueil blessé, toutes les passions belliqueuses et révolutionnaires. D’un seul coup, le roi Louis-Philippe perdait le fruit de dix années de sagesse habile et de persévérans efforts. La France se retrouvait isolée, irritée de son isolement, réduite à assister frémissante à la campagne entreprise pour soumettre son client Méhémet-Ali, ou à prendre les armes contre l’Europe coalisée. Trois mois durant, on vivait entre la paix et la guerre, au bruit du canon anglais retentissant sur les côtes de l’Egypte, et des arméniens français tout aussi retentissons sur le continent.

Quelle était la part des divers cabinets, et, entre tous, de M. de Metternich dans cette crise périlleuse ? Peu après, lorsqu’on avait déjà passé les plus mauvaises heures, le roi Louis-Philippe, toujours prêt aux conversations familières, disait au comte Apponyi, chargé de le redire au chancelier : «… C’est l’action de la Russie qui a tout gâté. L’empereur Nicolas, qui me hait personnellement, n’a pu digérer l’idée de voir mon règne révolutionnaire se prolonger au-delà de dix ans, et après avoir médité tous les moyens de me renverser, celui de rompre l’alliance de la France avec l’Angleterre lui a paru le plus efficace… Vous avez été tous intimidés et entraînés par cette action de la Russie ; vous vous êtes réunis à elle contre moi, l’Angleterre par un esprit de vengeance de son premier ministre, l’Autriche et la Prusse par peur de la Russie… » C’était un peu vrai. Le chancelier d’Autriche, quant à lui, ne portait, dans l’alliance précipitée par l’empereur Nicolas et lord Palmerston, aucune préméditation hostile. Plus d’une fois il avait prévenu le cabinet des Tuileries du danger de s’isoler, d’être trop « égyptien, » quand les autres cabinets étaient « turcs. « Il n’avait cessé de lui rappeler l’avantage de « rester unis, » de régler « à cinq » l’affaire d’Orient. Au dernier moment, il avait cédé pour ne pas se