Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/59

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son mépris pour les perceptions des sens, prépara les voies aux pyrrhoniens ; Aristippe, le précurseur d’Épicure, celle de Cyrène, qui proposa pour but à l’homme le bonheur, en l’y conduisant par le plaisir, au lieu de l’y mener, comme Socrate, par la vertu ; Antisthène, enfin, l’école cynique, qui, par une exagération mauvaise de la simplicité socratique, méconnut la raison pour revenir à ce qu’elle appelait la nature, et sacrifia la société et toutes ses lois, en estimant que les bienséances étaient des préjugés, qu’il n’y avait de laid que le vice, de beau que la vertu sans pudeur. C’eût été priver la Grèce de ses plus précieuses qualités : la poésie, l’art, l’éloquence, et lui donner, au lieu de citoyens actifs, des moines déguenillés laissant passer un frivole orgueil à travers les trous de leur manteau.

De ces philosophes, Platon fut le plus grand par son talent littéraire, qui dépasse celui de tous les autres, et par sa doctrine, d’où tant de systèmes sont sortis. Après la catastrophe qui dispersa les disciples de Socrate, il voyagea dans la Grande-Grèce, la Sicile, la Cyrénaïque et l’Egypte, étudiant toutes les écoles, interrogeant tous les sages ou ceux qui croyaient l’être, même les prêtres d’Egypte, qui lui contèrent le grand naufrage du continent atlantique et lui dirent, dans l’orgueil de leur civilisation cinquante fois séculaire : « Vous autres Grecs, vous n’êtes que des enfans. » De retour à Athènes, il ouvrit, vers 388, l’école fameuse de l’Académie, où il enseigna quarante ans. Il avait pris une route plus large et plus haute, mais aussi plus dangereuse, que celle de son maître. Si, comme Socrate, il étudia l’âme humaine, cette connaissance ne fut pour lui que le point de départ d’un système qui, sortant du ferme terrain de la conscience, prétendit s’élever par la dialectique et l’imagination jusqu’à la connaissance de tous les êtres et de la divinité, leur principe commun.

Nous n’avons à parler ici ni de la trinité platonicienne : Dieu qui ne crée pas le monde, mais qui l’organise ; la matière qui reçoit de lui le germe de tout bien et de toute vie ; le monde, fils τόϰος des deux autres principes ; — ni des trois âmes qu’il attribue à l’homme, dont l’une, la raisonnable, survit au corps, avec le souvenir du passé, soit pour le châtiment, soit pour la récompense, ou est envoyée, sans mémoire de la vie antérieure, dans un autre corps pour une seconde épreuve ; — ni des deux espèces d’amour : l’un sensuel et grossier, la Vénus vulgaire ; l’autre, la Vénus céleste, principe des instincts supérieurs de l’humanité, qui, à travers la beauté extérieure, voit la beauté morale et fait la divine harmonie du monde « en donnant la paix aux hommes, le calme à la mer, le silence au vent, le sommeil à la douleur. » C’est de la doctrine