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platonicienne qu’est née l’allégorie charmante de Psyché, ou de l’âme humaine, qui, purifiée par l’amour et la douleur, finit par jouir de toutes les béatitudes.

Encore moins parlerons-nous de sa théorie fameuse des idées ou des types éternels des êtres qui résident en Dieu, leur substance commune. L’œil ne peut les apercevoir, mais ils se révèlent à l’intelligence. Quand Phidias représenta Jupiter et Minerve, il ne copia pas un modèle vivant, il avait en son esprit une image incomparable de beauté ; de même concevons-nous l’image de la parfaite éloquence, dont nos oreilles n’entendent qu’un écho lointain et affaibli. Ces formes des choses sont les idées, ἰδέαι. Conçues par la raison, elles sont de tous les temps, tandis que le reste nuit, change, s’écoule et disparaît.

Chaque objet a donc, au-dessus de la nature phénoménale où tout est dans un flux perpétuel, sa forme suprême dont il faut sans cesse se rapprocher. Dans notre prison de la terre, dans cet autre ténébreux où nos préjugés nous enveloppent de tant de liens, nous voyons des ombres qui passent ; c’est le monde que nous prenons pour une réalité. À suivre ses changemens perpétuels, l’âme se trouble et chancelle, comme prise d’ivresse, ὥσπερ μεθύουσα. Mais que tombent les chaînes du captif, qu’il sorte de l’antre obscur, alors, échappant à la corruption du corps, il se porte vers ce qui est pur, éternel ; il sépare la vérité de l’illusion ; il a la sagesse et il s’approche de l’éblouissante lumière où l’âme contemplera ce qui possède la réelle existence, τὰ ὄντως ὄντα, les idées, types éternels du vrai, du beau et du bien[1].

Je n’ai pas à rechercher ce que vaut philosophiquement cette théorie des Idées, d’où l’on a tiré la magnifique et féconde formule : le Beau est la splendeur du Bien et du Vrai. Mais faire du devoir le principe de la morale ; proclamer dogmatiquement la Providence divine et l’immortalité de l’âme, que les mystères n’avaient enseignées que d’une manière poétique ; enfin placer en Dieu toutes les perfections et donner pour but à notre activité morale la ressemblance avec lui, de sorte que la vertu ne fut que l’obéissance aux préceptes divins[2], c’était proposer à l’homme la recherche constante d’une perfection idéale. Aussi, tant qu’il existera des esprits élevés, il y aura des disciples pour le maître de qui l’âme a reçu des ailes.

  1. Au VIIe livre de la République. Pour Platon, la Beauté, la Proportion et la Vérité sont les trois faces du Bien, et ce Bien, c’est Dieu même : toutes les beautés terrestres ne sont que le reflet de la pensée divine.
  2. Au IVe livre des Lois. En ce même livre, il dit que Dieu est la juste mesure de toute chose, contrairement à Protagoras, qui avait mis cette mesure dans l’homme.