Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/594

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

indéfiniment la réalisation, surtout sous l’influence de vienne. Il n’avait d’autre souci que d’achever de vivre dans le repos, dans le culte de la sainte-alliance et de l’absolutisme. Avec lui, M. de Metternich n’avait rien à craindre. Son fils, le roi Frédéric-Guillaume IV, le frère aîné de celui qui devait être l’empereur Guillaume, était une énigme. Ce n’est pas qu’il eût moins que son père le goût de l’absolutisme, le respect de l’Autriche et de M. de Metternich. Il avait commencé par écrire au chancelier : « vous n’appartenez pas à l’Autriche seule. Le fils du roi de Prusse croit avoir des droits sur vous ; aussi ne manquerai-je pas de vous regarder comme mon conseiller et comme mon ami… » Mais Frédéric-Guillaume IV arrivait au règne avec une inquiétante originalité de caractère, avec un esprit plein de projets et une imagination décevante. C’était un prince fantasque et mobile, impétueux et irrésolu, captieux et éloquent, alliant le goût des nouveautés à un mysticisme subtil et à des superstitions de féodalisme historique. Il se proposait sûrement de tenir les promesses libérales que son père n’avait pas réalisées ; il les tenait à sa manière, en s’agitant dans le vide, en agitant les esprits, en surexcitant des espérances d’autant plus vives qu’au lendemain de son avènement, dans l’été de 1840, les menaces d’une guerre avec la France réveillaient toutes les passions d’autrefois. « Le roi est né expérimentateur, » disait un jour le chancelier. Frédéric-Guillaume IV commençait ses expériences avec des rescrits sur les états provinciaux, qui promettaient encore plus qu’ils ne donnaient, et des discours pathétiques où les libéraux prussiens se plaisaient à voir les premiers gages d’une prochaine réforme constitutionnelle.

Devant les agitations du nouveau règne prussien, le chancelier de Vienne se sentait bien vite en méfiance et ne se défendait pas de dédaigneux pronostics. Il traitait assez légèrement Frédéric-Guillaume IV. Il le rencontrait plusieurs fois en ces années, notamment pour la pose de la première pierre du dôme de Cologne. « Le roi, dit-il, lui avait sauté au cou ; » il n’en était pas plus fier et plus rassuré pour cela. Il donnait des conseils qu’on lui demandait et dont il pressentait d’avance l’inutilité. Le chancelier en venait à affecter une certaine réserve dans ses relations avec le brillant agité de Berlin et à éviter des entrevues qu’il eût recherchées autrefois. Une occasion se présentait bientôt cependant où il ne pouvait se dérober à une invitation du roi qui le conviait à Coblentz et au château de Stolzenfels. Cette occasion était le passage de la reine Victoria d’Angleterre, qui arrivait sur le Rhin, allant visiter Cobourg, le pays du prince Albert, — et en déclinant l’invitation, le premier ministre d’Autriche aurait paru refuser de voir la reine, comme aussi son ami, lord Aberdeen, qui accompagnait sa souveraine. Il mettait pourtant