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encore quelque coquetterie à se représenter comme un homme allant prendre des vacances au Johannisberg et charmé d’aller-de là en voisin à Coblentz et à Stolzenfels « faire sa cour à la reine d’Angleterre. » On était déjà au mois d’août 1845.

La rencontre était curieuse et peut-être décisive. Une foule de princes et de personnages se trouvaient réunis : le roi Frédéric-Guillaume faisant les honneurs de Stolzenfels, la reine Victoria, le prince Albert, des archiducs, le prince et la princesse de Prusse, le roi et la reine des Belges, des diplomates, des femmes de toutes les cours. Mme de Metternich, qui est des fêtes de Stolzenfels, ne manque pas de faire ses observations sur tout ce monde, et, en personne orthodoxe, elle s’étonne que le prince Albert, conduisant la reine des Belges, ait le pas sur un archiduc ; elle dit avec une politesse pincée au sujet de la fille du roi Louis-Philippe : « J’ai été chez la reine des Belges, qui m’a donné une audience. Elle semblait un peu embarrassée ; elle est toutefois une dame fort distinguée, qui a le meilleur ton. Elle cause très bien, et en somme elle a été fort aimable, malgré toute sa réserve… » Le chancelier est présenté à la reine Victoria qui, à son tour, écrit dans son Journal, d’un ton un peu indifférent : « J’ai trouvé le prince beaucoup plus âgé que je ne m’y attendais, dogmatisant beaucoup, parlant lentement, du reste très aimable…[1]. » De part et d’autre, on restait un peu froid ; mais ce qu’il y avait de plus caractéristique dans ces entrevues de Stolzenfels, c’était un entretien de M. de Metternich avec le roi Frédéric-Guillaume pendant une course sur le Rhin, dans la cabine d’un bateau à vapeur qui ramenait le chancelier au pied du Johannisberg.

Le roi était alors en travail d’une organisation nationale, plus ou moins constitutionnelle, destinée à compléter ou à couronner les u états provinciaux » de Prusse. Que ferait-il réellement ? Il ne le savait pas lui-même. Dans son mystérieux tête-à-tête avec M. de Metternich, il gesticulait, il pérorait, repoussant avec horreur tout ce qui ressemblerait aux systèmes représentatifs modernes, mettant son droit royal au-dessus de tout, rattachant la création qu’il méditait aux vieilles traditions allemandes, au vieux droit historique. Le chancelier écoutait avec un air de doute, en homme qui, à travers les fumées de l’imagination royale, voyait poindre l’idée libérale et constitutionnelle qu’il combattait depuis trente ans. Au roi lui répétant sans cesse qu’il ne se laisserait jamais imposer des « états-généraux du royaume, » qu’il se bornerait à une réunion plénière des corps d’états provinciaux, il répliquait : « Si votre

  1. Voir le récit de ce voyage dans l’ouvrage : le Prince Albert de Saxe-Cobourg, époux de la reine Victoria, d’après leurs lettres, journaux, mémoires, etc., par Augustus Craven, 2 vol.