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Platon, dans le Phédon, appelle l’homme un animal religieux : sa philosophie est faite pour répondre à cette définition. Sans cesse il revient sur la nécessité de regarder en haut, et il exprime cette pensée avec une variété infinie d’images. « Comme le dieu Glaucos, dont on ne reconnaît plus lu divinité lorsqu’il sort des ondes la tête défigurée par les herbes marines qui la couvrent, l’âme humaine est souillée par les immondices du corps. Qu’elle se détache donc de son geôlier par la vertu et par l’intelligence du bien absolu. » — « Par là, dit-il, à la fin de sa République, nous serons en paix avec nous-mêmes et avec les dieux ; et après avoir remporté sur la terre le prix destiné à la vertu, semblables à des athlètes victorieux qu’on mène au triomphe, nous serons encore couronnés là-haut. »

Avec cette espérance, il fait bon marché des misères de la vie ; il va même jusqu’à souhaiter de les quitter au plus vite. Le Grec aimait « la douce lumière du jour » et toutes les joies de l’existence ; Platon soulève déjà le linceul dont la religion de la mort enveloppera l’humanité. Selon lui, les sages doivent mépriser les choses de la terre et aspirer à la séparation de l’âme et du corps, comme à la délivrance[1]. Cependant, s’il veut que, par ce dédain des biens périssables, on se rende digne de contempler un jour Dieu et la vérité, il ne conseille pas l’anéantissement dans l’amour divin. La vie, au contraire, doit être active, laborieuse, et pour que la mort ne cause aucun effroi, il faut avoir décoré son âme de la parure qui lui est propre : la pensée et la science. Ces deux mots sont aussi ceux de la civilisation moderne, mais dans un autre sens que celui où Platon les prenait lorsqu’il faisait de la vertu la conséquence de la science, sans montrer, comme Aristote le lui reproche, le lieu qui doit unir le bien reconnu à la volonté de l’accomplir.

Pour Platon, les connaissances qui proviennent des sens nous apprennent seulement ce qui passe et ne sont qu’affaire d’opinion. La science véritable est celle qui enseigne ce qui doit exister, et révèle l’Être en soi, l’Être nécessaire. Comment arriver à cette science suprême ? Par la dialectique et l’exaltation de toutes les facultés de l’âme, ou l’enthousiasme. Ce sont deux forces puissantes qui peuvent aussi conduire par des chemins divers, et à l’aide de beaucoup de subtilités, sur des pentes périlleuses. Platon avait donc repris les spéculations métaphysiques, « ces discours

  1. Διὸ ϰαὶ πειρᾶσθαι χρὴ ἐνθενδὶ ἐϰεῖσε φεύγειν ὅτι τάχιστα (Théétète, XXV, édit. Didot, t. I, p. 135.) Toutefois, dans le Phédon et le Gorgias, il regarde le suicide comme un sacrilège, une offense envers la divinité.