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à un œil exercé ; on pourrait même, en poussant la comparaison plus loin, constater, non sans vraisemblance, que si, de part et d’autre, le sens des couleurs s’affine et se subtilise, il n’en est pas de même du sens des formes, qui s’affaiblit de jour en jour, et reconnaître que des deux côtés il y a, en général, plus d’apparence que de fonds, plus d’agitation que d’équilibre, plus de nerfs que de muscles, plus de fard que de sang, plus d’éclat que de santé, plus de bavardage que d’imagination, plus de piquant que d’intelligence. On prouverait aussi peut-être que, sous l’éclat tapageur de leurs ajustemens, les peintres parisiens comme les dames parisiennes dissimulent mal les ravages croissans de l’anémie et de la chlorose ; mais ce serait attacher trop de prix à une boutade d’artiste, qui, sous sa forme paradoxale, a pourtant un mérite, celui de rappeler aux pessimistes et aux désespérés que l’art peut toujours se renouveler, tant que les vivans et les vivantes en gardent le goût, même dans un intérêt superficiel de coquetterie personnelle !

Non, à la fin du XIXe siècle, pas plus qu’à la fin du XIVe, pas plus qu’à la fin du XVIe, la peinture n’est perdue parce que l’activité des artistes, lassée des formules, se manifeste en désordre avec des affectations de rébellion et d’indépendance. Que sortira-t-il du pêle-mêle actuel ? C’est ce que personne de nous ne peut dire. On distingue, au Salon de 1888, comme dans les derniers Salons, une quantité d’élémens en ébullition. Sortira-t-il de ce creuset, dans un temps prochain, un amalgame solide et résistant ? Tout n’est pas vain assurément dans ces tentatives curieuses que font les jeunes gens, soit pour analyser, avec une hardiesse étrange, les phénomènes atmosphériques, soit pour chercher dans le mouvement des corps sous la lumière une poésie autre que celle qui suffisait à Titien et Rembrandt. L’amour de la nature nous possède et nous exalte vraiment comme il possédait et exaltait les hommes de la renaissance. Parmi les peintures trop nombreuses qui tapissent les salles du Palais de l’Industrie, s’il en est de gâchées, s’il en est d’inutiles, s’il en est d’impertinentes, il n’en est presque aucune qui n’exhale, dans une mesure plus ou moins grande, une admiration sincère pour les choses visibles, un respect élevé ou tendre pour la beauté et la force des êtres réels, un enthousiasme naïf ou raffiné pour les splendeurs de la vie. Par ce temps de subtilités mélancoliques et de prostrations pessimistes, les peintres nous rendent le service de rester de grands enfans, et beaucoup d’entre eux gardent, comme les enfans, des âmes saines et simples où retentissent, avec une joie salubre, les échos multipliés des sensations naturelles. C’est ce que les femmes comprennent à merveille, la plus raffinée ou la plus corrompue d’entre elles conservant toujours dans quelque repli du cœur l’instinct qui fait les épouses et les