puissé-je le dire sans offenser personne ! — l’homme même dont l’enseignement ou la seule présence la défendait le mieux du reproche et du péché de pédantisme. Presque tout professeur y incline de nature, on le sait, et, pour qu’il y tombe, il ne faut que le pousser un peu. Mais si l’on conçoit très aisément qu’un cours de syriaque ou d’hébreu, de mécanique céleste ou d’anatomie comparée, et d’archéologie grecque ou d’épigraphie latine, ne soit réservé qu’à de rares auditeurs, qu’à de vrais élèves, triés, éprouvés et formés par le maître, on ne conçoit pas que, dans le pays où c’est la gloire de Descartes et de Pascal, de Montesquieu et de Buffon que d’avoir rendu la philosophie ou la théologie même, le droit et l’histoire naturelle intelligibles à tout le monde, on ne saurait concevoir que l’histoire générale et la philosophie se séparent, s’isolent et se désintéressent du monde et de la vie, dont elles ne sont rien si elles ne sont l’une des expressions ; — je dirais volontiers une fonction. Vivre d’abord, dit en effet un ancien proverbe, et ensuite philosopher ; et moi je dirais, avec plus de vérité, qu’une manière de vivre n’est qu’une manière de philosopher, n’importe ou non qu’on le sache ; et M. Caro, qui était un peu timide, ne l’aurait pas osé dire, mais il le pensait ; et nous l’avons assez entendu pour pouvoir affirmer que si ses qualités d’orateur y aidaient : la prestance, la voix, l’action, l’accent, c’est cette conviction qui, comme elle animait intérieurement sa parole, a fait le grand et légitime succès de son enseignement. Malheureusement pour nous, fort éloigné qu’il était de la belle présomption de quelques-uns de ses prédécesseurs en Sorbonne, Victor Cousin, par exemple, ou Saint-Marc Girardin, il n’a pas fait, comme eux, directement imprimer ses cours, moins improvisés cependant que les leurs ; et ainsi le témoignage durable de son éloquence a péri. C’est donc dans ses écrits que ceux qui ne l’ont pas entendu retrouveront, avec les formes élégantes et harmonieuses de sa parole, la substance de sa pensée ; et c’est là qu’il nous la faut chercher.
Il a beaucoup écrit, et sur tant de sujets, qu’on est un peu embarrassé d’abord de définir d’un seul mot le caractère de son œuvre et la nature de son talent. A ne le considérer que par de certains côtés, et si, par exemple, on ne connaissait de lui que ses Nouvelles Études morales sur le temps présent, ou ses deux volumes sur la Fin du XVIIIe siècle, ou son étude sur George Sand, on le prendrait, volontiers pour un critique ou pour un historien de la littérature, et, sans doute, il en avait quelques-unes des plus rares qualités. C’est ainsi que peu d’hommes ont jamais été plus sensibles au talent, dont il aimait à faire les honneurs, et sans y mettre aucune coquetterie de générosité, jusque chez ses adversaires. Mais peut-être, quand il parlait d’un Voltaire ou d’un Jean-Jacques, une certaine érudition lui faisait-elle quelquefois défaut, une connaissance plus approfondie de