morale ne saurait s’enfermer dans les bornes de la vie présente ; ce ne serait plus qu’une police ou un contrat d’assurances ; et quand vous auriez enfin réussi à l’y enfermer, il resterait toujours à déterminer l’objet même de la vie ; et ce serait encore de la métaphysique. Spinoza n’en a-t-il pas dû faire, de la plus haute, de la plus subtile et de la plus abstruse, uniquement pour établir que l’objet de la vie est… de vivre ?
Aux qualités du moraliste, et pour achever de caractériser le talent de M. Caro, ne faut-il pas maintenant rapporter jusqu’à ses qualités d’écrivain ? Comme la plupart de ceux qui sont nés orateurs, il avait le style, ainsi que la parole, naturellement ample, sonore, et parfois quelque peu redondant. Sur ces matières philosophiques, si difficiles à exprimer dans la langue de tout le monde, sans le secours de ces termes techniques ; — dont le grand avantage est d’être abréviatifs, mais le grand inconvénient de devenir cabalistiques, — je ne crois pas d’ailleurs que depuis Cousin personne ait mieux écrit, ni surtout plus clairement que M. Caro. J’ajouterai seulement, puisqu’on le lui a quelquefois reproché, qu’il a pu s’en consoler dans la compagnie de Fénelon ou de Malebranche. Trop orgueilleux ou trop modestes, est-ce donc par hasard que nos philosophes ne se reconnaîtraient plus dès qu’un éloquent interprète s’est avisé de les rendre intelligibles à eux-mêmes ? M. Caro aimait à se comprendre et à être compris. Mais ce qui est vrai, c’est que la nature des questions qu’il traitait, comme aussi la manière dont il les traitait, toujours attentif à en faire sentir l’universel intérêt, communiquaient d’elles-mêmes à son style un mouvement, une vie et une chaleur que n’eussent pas comportées des discussions plus abstraites, sur l’espace ou sur le temps, par exemple, sur la nature du mouvement ou sur le fondement de l’induction. Mais surtout on sentait, dans le style même de ses études philosophiques, ce que l’on sentait un peu moins dans ses études « littéraires, » qu’il y faisait de ce qu’il disait son affaire personnelle, et que, s’il avait le don de la persuasion, c’est qu’ayant reçu celui de la conviction, il parlait dans sa propre cause. Et de tout cela, joint ensemble, de cette sincérité du penseur, de la nature des questions, des qualités naturelles de l’écrivain et de l’orateur, il se formait un courant de style dont le flot, d’abord un peu lent, mais large, a s’excitait par sa pente, » et devenait aisément rapide et entraînant. Dans le dernier de ses écrits, cette étude sur George Sand, qui n’a vu le jour qu’après sa mort, quand il définissait à peu près ainsi le style de l’auteur de Valentine et de Mauprat, songeait-il peut-être à lui-même ? Il l’eût pu du moins sans trop de vanité ; — et, s’il n’y songeait pas, nous pouvons y songer pour lui.
Ce que l’on ne saurait enfin se dispenser de noter, au moins en passant, parce que cela fait aussi partie du style ou plutôt de l’écrivain, C’est la rare franchise et surtout la courtoisie qu’il se faisait un point