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Le parlement est bien déchu et ne saurait reprendre la direction que la guerre de Paris lui a ravie ; plus de prestige. Transformée en corps politique, cette grande cour de justice n’échappe pas au sort des assemblées qui, ayant goûté du pouvoir souverain, s’éprennent de l’arbitraire à l’égal des monarchies absolues. Jouet des factions, elles croient assurer leur indépendance en se plaçant au-dessus du droit pour écarter des embarras souvent imaginaires, et perdent leur autorité par l’abus même qu’elles en ont fait. La grand’chambre est encore l’arène où parfois les partis se rencontrent ; le foyer est éteint, le beau zèle pour le bien public a été submergé dans les cabales ; on lit encore le mot « réformes » inscrit sur la bannière ; mais, sauf quelques barbons, personne n’y songe. L’heure des travaux féconds est passée ; l’esprit turbulent subsiste plus stérile que jamais et sans excuse. La « vieille fronde » n’a pas désarmé ; elle ne compte plus que comme appoint. Voici venir la « fronde des Princes. » Pourquoi ce nom ? Mettons Condé à part ; ceux qu’on appelle les princes, et Gaston, et Conti, et les Vendôme, et même les femmes qui croient tout mener, ne sont que des comparses. À l’état latent d’abord, puis, à mesure que le parlement s’efface, avec des éclats de plus en plus vifs, la lutte, la vraie lutte, est engagée entre deux hommes qui, par leurs qualités comme par leurs défauts, appartiennent plus à l’Italie qu’à la France.

Ce duel à outrance remplit toute la période des Frondes.

Gondi est de cette race des Pazzi, des Médicis, e tutti quanti, qui, par leurs éternels complots, ne cessaient d’ensanglanter les temples et les palais de Florence. La conspiration est sa vie ; souvent il conspire contre lui-même. À dix-sept ans, il écrivait con amore un récit de la conjuration de Fieschi ; peu s’en faut qu’il n’avoue Catilina pour son idéal. Un peu de sang gaulois coule dans ses veines ; s’il reste transalpin par son génie, il est déjà Français par la langue, par la culture, par certaines habitudes, j’oserais dire par les vices. Prodigue, vaniteux, il a toutes les audaces, ne connaît pas de frein ; son incomparable talent sait revêtir les théories inventées après coup d’une forme si haute et si noble qu’on oublie, en le lisant, le mensonge de cette vie.

Le fils de Pietro di Mazzara nous présente un type différent ; celui-là conserve encore le parfum du terroir ; l’éducation de la curie romaine a développé le scaltro[1] sicilien : c’est le plus fort des

  1. Il est assez difficile de fixer, même par une périphrase, le sens qui, en Sicile, s’attache à ce mot. Le scaltro est un composé de méfiance et de ruse, une sorte de politique un peu tortueuse, pratiquée dans toutes les affaires de la vie.