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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/757

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que le Roi et moi nous serions des ingrats s’il nous arrivait de l’oublier jamais. »

Comme M. le Prince sortait, une voix lui dit à l’oreille : « voilà une grandeur de service qui me fait trembler pour vous. »

Cinq mois plus tard, il était en prison à Vincennes.


VI. — LES DEUX ITALIENS ET M. LE PMNCE.

Le Roi rentrant dans sa capitale semblait reprendre possession de son royaume, on le croyait, hors de Paris surtout, et l’honneur de ce bienfait revenait à M. le Prince. « voilà un coup qui estourdyra bien du monde et à quoy je ne doute que votre Altesse n’ayt grande part[1]. »

Rien de plus trompeur que cette apparence de triomphe et de pouvoir. Le terrain est miné sous les pas de Condé. Entouré d’embûches et de séductions, responsable de tous les refus comme des faveurs imméritées, au fond il ne dispose de rien, ne peut satisfaire les sollicitations qui pleuvent sur lui, décourage les offres de service qui lui viennent de tous côtés, refuse de répondre aux appels répétés des amateurs de sédition. Cette carrière de duc de Guise, que Retz lui ouvrait au lendemain des Barricades, il a plusieurs fois occasion d’y rentrer : à la paix de Rueil, après l’échec de Cambrai, au retour du Roi, à chacune des crises que soulèvera le flux et le reflux des intrigues. Et chaque fois il s’arrête, ne pouvant se décider à conduire ces faméliques à l’assaut de l’État : « Je ne peux me résoudre à devenir le chef d’une armée de fous, n’y ayant pas un homme sage qui pût s’engager dans une cohue de cette sorte. »

L’hésitation, les retours, les répugnances de l’honneur sont taxés de faiblesse ; on a trop compté sur sa force pour lui pardonner de n’en pas faire usage ; l’affront d’une protection hautaine est aussi vivement ressenti que le refus de seconder jusqu’au bout un pernicieux dessein. D’implacables adversaires guettent ses moindres démarches, exploitent les caprices de son humeur, la violence de ses mouvemens, son ardeur à épouser les querelles, les prétentions de ses amis, et’ cette activité dévorante qui n’a plus d’aliment. Il n’est pas assez battu de la tempête, assez refroidi par l’âge pour se renfermer dans le labeur administratif ou dans une studieuse retraite ; il reste agité ; l’inaction devient pour lui le plus grand des périls.

  1. Gramont à M. le Prince. Pau, 28 août. A. C.