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individuel, et remet finalement les droits de chacun à la discrétion du parti vainqueur.

Sous le bénéfice de ces réserves, le pouvoir exécutif n’en reste pas moins un organe essentiel du système politique. C’est à l’exécutif que les Américains s’adressent pour être préservés de l’omnipotence parlementaire dont ils se sont toujours défiés de plus en plus. Les partisans sincères de la réforme administrative ne l’attendent guère que de l’énergie présidentielle. Et, en effet, le président actuel, M. Cleveland, n’a pas craint de porter une main ferme sur quelques-uns des abus les plus crians. De même dans les états particuliers, c’est aussi l’exécutif local, en la personne du gouverneur, que les citoyens tiennent pour la meilleure sauvegarde, tant les assemblées leur inspirent d’inquiétudes et de soupçons. « Désabusé par les corruptions législatives, écrivait naguère M. C.-F. Adams, le peuple s’habitue doucement à demander protection et appui, non pas à l’opinion publique, mais à quelque personnage marquant, investi d’une grande puissance exécutive. C’est en lui et ses pareils seulement qu’il croit devoir mettre sa confiance. » Récemment encore, bon nombre de journaux réclamaient le gouvernement de l’homme fort, the strong man. Toute exagération à part, cet appel à l’autorité personnelle, en pays de self government, paraîtra aux moins prévenus un signe des temps et un symptôme de désillusion profonde.

Dans leur recherche des sécurités nécessaires, les Américains en arrivent, par une évolution spontanée, à ne plus compter que sur l’organe le moins républicain de la constitution, sur le pouvoir exécutif, délégué à l’homme élu pour faire échec ou contrepoids aux assemblées. L’inconvénient grave de cet antagonisme officiel entre une personnalité énergique et le parlement est manifeste. Tout pays qui aspire à établir un gouvernement stable et fort en dehors de la solution monarchique s’expose à des aventures dictatoriales quelconques. Les États-Unis ont jusqu’ici du moins triomphé aisément de ce péril, auquel n’échapperaient pas d’autres contrées.


II

« Peut-être n’a-t-on jamais suffisamment remarqué, disait John Quincy Adams, que les pouvoirs exécutifs, concentrés chez nous entre les mains d’un titulaire unique, sont beaucoup plus étendus et plus complexes que les pouvoirs collectifs des législateurs. Le texte constitutionnel visant l’autorité législative est précis. Au contraire, l’autorité exécutive est concédée sans précision ni réserve. »