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de tous les obstacles, et le Mont-Cenis, bien qu’à 30 kilomètres plus au nord, a donné son vieux nom à la nouvelle voie qui l’a réduit au rôle d’un vaincu, aujourd’hui complètement abandonné et transformé en un véritable désert. Si le Mont-Cenis a perdu sa vie, son animation, s’il n’est plus qu’un nom dans l’histoire du passé, il conserve son site incomparable, son beau lac, la richesse de sa flore, qui lui vaudront toujours un attrait irrésistible auprès des artistes et des naturalistes. En rappelant des souvenirs personnels sur la physionomie de cette intéressante région des Alpes, je veux noter les traits épars de son histoire et montrer l’insigne prospérité de son hospice à l’époque du consulat et de l’empire.


I.

Le Mont-Cenis, limite de séparation entre les Alpes cottiennes et les Alpes grecques, fait communiquer la vallée de la Maurienne avec la vallée de Suze par un large passage naguère des plus fréquentés. Quoique bien connu des Romains, il n’était pas praticable du temps de César. La voie militaire de cette époque remontait l’Arc dans la Maurienne supérieure, traversait la vallée de Lanzo-et-Viü, et allait de Vienne sur les bords du Rhône à Milan. On présume que, sur la foi de Salluste, Pompée, se rendant en Espagne pour combattre Sartorius, fut le premier des généraux romains qui tenta de passer le Mont-Cenis.

Dans le débat qu’a suscité le passage d’Annibal à travers les Alpes, de Saussure et Napoléon ont soutenu que le général carthaginois était descendu en Italie par le Mont-Cenis. Cette opinion a été accréditée dans un livre récent : Annibal en Gaule, adressé en décembre 1874 à l’Académie des Sciences morales et politiques. Son auteur, M. Maissiat, ancien représentant du peuple, a repris sur les lieux cette vieille question qui, dès le début, a divisé Polybe et Tite-Live. Contrôlant les divers récits les uns par les autres, il donne les motifs qui lui font regarder comme certain qu’Annibal a emprunté cette voie. Quoiqu’il en soit, le passage d’Annibal des Gaules en Italie restera toujours un problème gros de difficultés. Il existe au moins, si j’ai bonne mémoire, quatre-vingts dissertations sur cet événement : trente-trois opinent pour le passage du Petit-Saint-Bernard, qui réunit le plus grand nombre de suffrages ; vingt-quatre se prononcent pour le Mont-Genèvre ; le Grand-Saint-Bernard en compte dix-neuf ; le Mont-Cenis onze, et le Viso trois.

À différentes époques, le Mont-Cenis fut témoin de grands mouvemens militaires. Constantin le passa en 312, à la tête de 40,000 hommes ; Alaric l’envahit dans sa marche sur Rome ; Pépin