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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/933

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vigoureux de Margared, lancé un peu comme l’hymne à vénus de Tannhäuser, mais sur un accompagnement syncopé et haletant.

Voici l’une des grandes pages de L’œuvre. De quoi s’agit-il ? D’un jeune capitaine qui va partir en guerre, d’un ténor, et quand les ténors partent en guerre, gare aux grands coups de voix, aux ran plan plan ! Ici, rien de pareil : une distinction irréprochable, et cependant tout l’élan, tout l’éclat désirables. Sur la vision contée par Mylio plane une note haute et pure, qui se répète, se répercute à l’infini. Elle tintait d’abord ; maintenant elle retentit ; elle persiste à travers la fanfare des trompettes, le roulement des tambours ; tout l’orchestre bat la charge, une charge irrésistible, que mène la voix du ténor, pleine, robuste et sans crier. Cependant Margared, derrière un pilier, écoute le cantique de triomphe qui la désespère. Une phrase lui échappe, heureusement amenée, opposant bien la douleur de cette âme, à l’allégresse des autres. Peu à peu le cantique devient prière, une prière qui monte, monte toujours, et la note obstinée reparaît, de plus en plus forte, maîtresse jusqu’à la fin de cet ensemble magnifique.

L’œuvre marche, et grand train. Voici un très beau duo entre les deux sœurs, qui accentue vigoureusement les deux caractères. Nous n’en sommes plus au duo du premier acte. Ici, Margared s’emporte en malédictions. Elle lance contre Mylio une imprécation vraiment superbe. Il faut relire sans musique ce couplet farouche, pour voir comment le compositeur a mis chaque parole en relief, comme le mouvement général est pathétique. Et pour accompagner, pour irriter encore l’anathème, quel orchestre ! Quels accords tranchans, jetés de temps à autre, qui rythment le chant et ne l’écrasent jamais ! M. Lalo, dans les scènes violentes du Roi d’Ys, use souvent de ce procédé et en obtient les effets les plus dramatiques. Et puis, qu’on dise encore que ce symphoniste n’est pas homme de théâtre ! Use-t-il assez discrètement de son orchestre ici encore, pour soutenir le lied (je ne trouve pas d’autre mot) de Rozenn répondant avec une douceur angélique à sa furieuse sœur : Ah ! si j’avais souffert de la même torture ! Sur un accompagnement tout uni, en accords tenus, le chant se déroule. Si vous vous rappelez comment débutait le premier duo des deux sœurs, vous retrouverez ici le même dessin ; mais si vous l’avez oublié, le leitmotiv ne s’imposera pas à vous, et vous pourrez, même sans le reconnaître, jouir du chant délicieux de Rozenn. Ainsi, chez M. Lalo, jamais de système rigoureux, mais partout la liberté et la variété ; ici, par exemple, une mélodie exquise pour les cœurs simples, et des grâces d’orchestre, des recherches d’harmonie et d’instrumentation à ravir l’esprit le plus raffiné.

Mais voici bien plus que de la grâce dans la scène de l’apparition de saint Corentin. Aucun moyen de mélodrame, aucun charlatanisme, nul procédé de mauvais aloi. Et, que la liberté de la forme ne