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scandalise pas les classiques : ici la vérité théâtrale n’exclut jamais la beauté mélodique ; témoin la belle phrase de Margared : Ici tous m’ont trahie et déchiré le cœur. On ne saurait donner aux mots un accent plus musical et plus dramatique à la fois. Et toute la scène est faite de pareilles phrases, semées de ritournelles d’orchestre étonnamment expressives. La statue de saint Corentin s’anime et psalmodie le Dies iræ sur un rythme ingénieusement transformé. Repentez-vous ! Repentez-vous ! murmurent des voix lointaines. On dirait qu’elles appartiennent à des morts qui jadis ont péché et détournent les vivans de pécher comme eux. Elles ont moins de noblesse et d’autorité que la voix de saint Corentin, mais plus d’humanité et de miséricorde ; elles supplient au lieu de menacer. De temps en temps, l’orchestre, par des assauts brusques et courts, empiète brutalement sur les tenues des orgues ; voilà bien le combat qui se livre au cœur des méchans. Repentez-vous ! disent toujours les voix compatissantes, et le tableau s’achève dans un effroi religieux.

Courte et substantielle avant tout, l’œuvre de M. Lalo trouve encore moyen d’être variée. Rien de plus exquis que les noces de Rozenn, ce tableau qui, le soir de la première représentation, a définitivement conquis le public, moins vite accessible aux beautés plus sévères. Il suffirait des cinquante mesures d’orchestre accompagnant la danse, de l’aisance avec laquelle se pose sur le dessin obstiné de l’orchestre la première phrase du héraut, pour montrer quel styliste musical est M. Lalo. Un dialogue s’engage entre un groupe de jeunes filles défendant la chambre nuptiale et des jeunes gens en demandant l’entrée. Mylio vient lui-même et chante deux couplets que termine une charmante reprise du chœur. Tout cela est d’une fraîcheur et d’une naïveté adorables. Adorable aussi, le chant de la fiancée au seuil de sa chambre, venant se donner d’elle-même au fiancé qui l’appelle. L’orgue prélude, une cloche tinte dans la chapelle, jeunes gens et jeunes filles murmurent tout bas : Salut à l’époux comme à l’épousée ! et deux fois, blanche et rose comme une fleur d’églantine, la douce enfant redit sa chanson. Oh ! l’aimable chanson de vierge ignorante et désireuse de l’amour ! Quelle grâce sans afféterie, quel abandon de soi-même en toute innocence et toute pureté !

Le cortège a pénétré dans l’église ; par les portes entrouvertes arrivent à nous et les sons de l’orgue et les cantiques. Margared apparaît, et son gémissement : O Mylio ! sur une seule note, est profondément douloureux. Voici Karnak, et l’orchestre gronde. Toujours de beaux accords violens pour corser le chant, toujours et plus que jamais l’énergie de la déclamation, une action musicale que rien ne ralentit. Sur ces mots : Vois ton amant incliné près d’une autre femme, une belle effusion mélodique ; ironique, irritante, la phrase monte de plus en plus, et les cantiques montent aussi, comme pour exaspérer la