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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/940

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or il fallait bien, pour qu’elle éprouvât ces divers sentimens, qu’elle fût détrompée trop tard ! Elle est infidèle à son fiancé, elle a laissé un intrus surprendre son âme… Et, de bonne foi, à présent, ce n’est pas le fiancé mort qu’elle pleure, mais l’intrus qui s’en va… Au fait, n’est-ce pas celui-ci, réellement, qu’elle aime, et ne l’aime-t-elle pas avec loyauté ?


Sainte vierge ! à mon vœu je ne fais pas injure,..
Puisqu’on l’aimant ainsi c’est Pierre que j’aimais !


Et de sa première tendresse à la nouvelle, Janik fait bravement la différence :


Ah ! mon amour d’hier n’était qu’amour de rêve ! ..


Elle sait nous intéresser davantage à celui d’aujourd’hui, plus solide et plus vivant ; et pour peu que le poète imagine un joli moyen d’en assurer le bonheur, nous serons satisfaits.

Nous le sommes donc ! .. Le père Legoëz, vieux marin, est toujours épris de la mer. Elle a dévoré tour à tour ses quatre fils, sans compter ses trois gendres ; n’importe :


Quoique fasse la vague,
C’est le nom du Seigneur qu’elle chante en passant !


Legoëz méprise un tantinet sa bru, il la réprimande vertement, parce qu’elle est « terrienne » de race et de cœur, parce qu’elle reproche à « cette chose » traîtresse, l’Océan, la mort de son mari et de son fils. Legoëz, pour première règle de conduite, impose cette loi à sa petite-fille :


Ne dis jamais du mal de Dieu ni de la mer !


S’il se remémore la figure de son petit-fils, il s’écrie : « Quels yeux, quand il guignait le flot ! » Il trouve bon que l’enfant soit parti ; car on ne devient marin qu’à force de « humer la mer. » Et lui-même, tous les jours, il faut que Janik aille le chercher sur le quai, — sinon,


à cligner des paupières,
Vers le large, il prendrait racine dans les pierres.


Eh bien ! Jacquemin est un fin matelot : en le voyant sous le nom de Pierre, Legoëz n’a pas eu de peine à reconnaître son sang. Il le pousse joyeusement vers sa petite-fille ; et comme Jacquemin,