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à tout ébranler, à tout désorganiser, qu’il reste à peine un point fixe où puissent se rallier et s’appuyer les bonnes volontés pour concerter une action quelque peu efficace. On semble s’être proposé uniquement, depuis dix ans, de rendre par degrés impossible tout retour régulier des forces modératrices dans la politique de la France, et de ne laisser la carrière ouverte qu’aux violences de parti, aux agitations désorganisatrices, aux impatiences radicales. On y a réussi, — on est arrivé à cette situation sans issue où le pays déconcerté flotte entre un favori du hasard, M. le général Boulanger, qui promet tout sans pouvoir rien tenir, et ceux qui font du gouvernement lui-même, des pouvoirs publics, les complices de l’anarchie croissante, de l’instabilité universelle.

Qu’est-ce que M. le général Boulanger dans les affaires de la France, aujourd’hui comme hier ? Évidemment, on le sait assez, ce n’est pas par lui-même, ce n’est pas par son propre mérite qu’il est devenu une sorte de personnage public. Comme soldat, il n’est plus rien, il ne représente que des habitudes et des exemples d’indiscipline qui ont obscurci ses premiers services. C’est un tribun militaire évadé de la vie régulière pour courir les aventures. Comme politique, il n’a que des idées vagues, décousues et incohérentes, sans originalité et sans force. Il a fait l’autre jour, pour la première fois, une apparition assez théâtrale au Palais-Bourbon ; il s’est cru obligé d’aller porter à la chambre, non sans une certaine solennité annoncée d’avance, un programme qui n’est, après tout, que le prospectus d’une ambition personnelle. Il a parlé une heure ou deux au milieu de toutes les interruptions, et ce qu’il a dit est évidemment ce qu’il y a de moins sérieux dans son affaire. Ce qu’il pense, ce qu’il propose, on ne le voit pas bien, même après l’exposé laborieux et calculé qu’il a lu. Il est pour la dissolution et pour la révision, c’est naturellement le premier article de son programme. Il est contre le régime parlementaire, c’est encore tout simple. Il est pour la convocation d’une assemblée constituante, pour la fabrication d’une constitution nouvelle, tout cela est assez banal. Veut-il conserver un sénat dans sa constitution ? Il ne paraît pas avoir des idées parfaitement arrêtées sur ce point. Est-il pour le maintien de la présidence de la république ? Il ne le sait pas bien ; il se pourrait qu’on pût s’en passer, il se pourrait que l’institution eût ses avantages, à la condition cependant que le président ne fût pas un « soliveau, » comme dans la constitution qui existe. Ge qu’il y a de plus clair, c’est qu’il est avant tout pour une de ces situations troublées où se font les fortunes des dictateurs, qui ont toujours l’air de décliner la veille les dictatures qu’ils sont prêts à accepter le lendemain. Il est pour les crises où tout est possible, voilà son affaire !

M. le général Boulanger n’a point réussi au Palais-Bourbon, c’était facile à prévoir ; il n’a eu ni un succès d’orateur, ni le vote de l’urgence