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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/117

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rendu peut-être dur à l’excès pour Allan Qualermain, c’est l’inconvenance du rôle attribué dans ses pages au Français de la troupe, un certain Alphonse, cuisinier de son état, ridicule, avec sa petite taille et ses grosses moustaches, vantard, hâbleur et poltron au demeurant. On voudrait en vain nous faire croire que cette caricature lourdement crayonnée, sans verve et sans esprit, doit servir de pendant à celles des jeunes misses dont les longues dents et les pieds invraisemblables défraient depuis des siècles les plaisanteries gauloises. Il y a là un parti-pris tout autrement offensant et qui peut-être mettra fin à la faveur avec laquelle les premières productions de M. Rider Haggard ont été accueillies chez nous.

Si les aventures d’Allan Quatermain sont trop longues et d’une couleur locale fort douteuse, que dire de celles de She, qui embrassent des milliers d’années et ne sont pas près de finir, pour peu que les réincarnations continuent. C’est à notre avis un pur galimatias, qui a le tort suprême d’être prétentieux autant qu’il est vide.

Un beau jeune Anglais, à cheveux jaunes, du nom de Léo Vincey, possède par héritage un fragment de poterie ancienne sur lequel est relatée l’histoire de la princesse égyptienne Amenartas, appartenant à la race royale des Pharaons, pour l’amour de laquelle le Grec Kallikrates, prêtre d’Isis, rompit autrefois ses vœux. Poursuivi par la vengeance de la déesse outragée, il prit la fuite, gagna la côte de Lybie et atteignit les cavernes de Kôr, où il eut à choisir entre le trépas et la furieuse passion d’une reine blanche, magicienne puissante, qui avait connaissance de toutes choses, et dont la beauté surhumaine ne devait jamais mourir. Il resta fidèle à Amenartas, et son cadavre ne sortit jamais des cavernes de Kôr. Léo Vincey, descendant de Kallikrates, ressemble trait pour trait à cet aïeul infortuné. Il part pour l’Afrique, et, sur une côte inexplorée jusque-là, au nord des chutes du Zambèse, trouve, régnant sur un peuple de nègres sanguinaires, une femme blanche mystérieuse, enveloppée de la majesté d’une vie sans fin, qui n’est autre qu’Ayesha, Elle, la rivale d’Amenartas ; ombre féminine de l’éternité, elle garde encore dans son sein l’orage des passions humaines. Soudain, Elle reconnaît l’objet de son amour, et, déterminée à le retenir cette fois, elle entreprend de lui faire traverser les flammes de vie d’où l’on sort inaccessible à la vieillesse. Pour lui donner l’exemple, elle s’y jette la première ; mais tout à coup ses prérogatives l’abandonnent : Elle se transforme en momie. Amenartas est vengée.

Peut-être M. Rider Haggard lui-même serait-il assez embarrassé de nous donner la clé de cette allégorie, écrite d’un style tantôt pompeux et tantôt négligé. Nous l’engageons à laisser de côté la sorcellerie africaine, à se complaire un peu moins aussi