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temps, la blanchisseuse, qui a eu des malheurs effacés par ses noces tardives, la femme du vicaire, charitable pourtant, mais qui prépare à regret du bouillon pour les pécheresses, et tous ces fermiers, à cheval sur la respectability, qui n’ont eu d’amour ici-bas que pour l’épargne sordide, pour ce qui se vend au marché, pour leurs dindons, pour la terre. Les moindres traits sont d’une vérité poignante ; nous n’en reprocherons que quelques-uns à Mrs Woods, ceux qui rendent inutilement répulsive la figure de l’idiot, moins originale d’ailleurs que les autres. Nous avions déjà vu de ces êtres, inférieurs à la bête par leurs appétits haineux, jouer le rôle aveugle du destin dans des romans qui ne valent pas celui-ci.


IV

Encore une œuvre de début, une œuvre de femme, qui est en même temps une œuvre supérieure : the Silence of dean Maitland, par Maxwell Gray ; seulement, on retombe ici dans ce que les collectionneurs de documens humains appellent « le vieux jeu, » c’est-à-dire que l’imagination joue son rôle dans l’arrangement de ce drame, fondé pourtant, assure-t-on, sur la pure vérité. Quant à cela, du reste, peu nous importe ; les mots : « c’est arrivé, » ne devraient avoir de prestige que pour l’enfance. Passé cet âge, on sait bien que l’art consiste à chercher et à choisir dans la vérité vécue ce qui est du domaine des émotions intellectuelles ; c’est ce qu’a fait sans doute Maxwell Gray, avec des préoccupations de moraliste et de psychologue qui séparent son livre, tout émouvant qu’il soit, du genre sensationnel auquel, sur le simple énoncé du sujet, on le soupçonnerait d’appartenir.

Cyril Maitland, celui qui doit devenir un jour le grand doyen de Belminster (décidément les romanciers en veulent à ces personnages infiniment vénérables d’ordinaire, les deans), l’éloquent, le prestigieux Cyril Maitland, n’était encore que diacre quand sa vertu, austère cependant et poussée jusqu’à l’ascétisme, s’est fondue au feu de la tentation. Il a oublié une minute ses devoirs de clergyman et ses fiançailles avec l’aimable miss Everard ; il s’est laissé gagner par la passion que sa beauté d’archange et le charme qui le servira si bien plus tard pour la conduite des âmes inspirent à une fille du peuple ardente et superbe, Anna Lee. Après quoi, il reçoit les derniers ordres, épouse celle qui est son égale par l’éducation, et se persuade sans trop de peine qu’en pourvoyant aux besoins d’un enfant qui va naître, il effacera ses torts ; mais il a compté sans la colère du vieux Lee, qui, ayant découvert la faute de sa fille, poursuit le séducteur, le provoque et le contraint presque au meurtre, car Cyril