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la Prusse et chez l’Autriche. Après des négociations et des intrigues interminables, l’Allemagne dut prendre la forme d’une confédération d’états souverains, assemblage pénible, sans unité réelle, sans cohésion intime et sans prestige à l’extérieur. Pour comble, l’acte fédéral, comme autrefois le traité de Westphalie, était signé et garanti par les grandes puissances. Elles se trouvaient ainsi investies du droit d’intervenir, le cas échéant, dans les affaires intérieures de l’Allemagne. Tout, dans cette constitution, semblait calculé pour froisser un patriotisme naturellement ombrageux. L’Autriche, qui en était le principal auteur, devait regretter plus tard d’avoir fermé l’oreille aux vœux sincères et spontanés d’une grande partie de la nation. Elle s’aliéna ainsi beaucoup d’Allemands, qui auraient désiré Voir la couronne impériale revenir à la maison d’Autriche, et qui eussent préféré son hégémonie à celle de la Prusse : car cette dernière puissance avait une vieille réputation de perfidie et de rapacité brutale, surtout dans l’ouest et dans le sud de l’Allemagne. Elle y était à la fois haïe et redoutée.

La déception fut cruelle, et il était inévitable que le mécontentement se fît jour. L’Autriche et la Prusse rivalisèrent de rigueur pour le réprimer, et elles y parvinrent sans trop de peine. Mais Metternich et ses alliés se donnaient en toute occasion pour les ennemis de la révolution, pour les défenseurs de l’ordre et de la légitimité. Par suite, protester contre leur œuvre devint la marque d’un dangereux esprit. De la sorte, tous ceux qui étaient mal satisfaits de la constitution imposée à l’Allemagne se trouvèrent, souvent malgré eux, rangés parmi les ennemis de l’ordre et les partisans de la révolution. Pourtant les plus libéraux d’entre eux repoussaient les idées révolutionnaires. Beaucoup même étaient foncièrement conservateurs. Hegel, par exemple, qui disait à Victor Cousin : « vous avez de la chance, vous autres Français, vous êtes une nation ! » Hegel n’avait rien du révolutionnaire, ni même du libéral. Il avait approuvé sans réserve le régime de Napoléon, et il écrivait encore, en 1831, que le système prussien de gouvernement était fort en avance sur les institutions politiques de l’Angleterre. Mais la Prusse et l’Autriche entretinrent une équivoque dont elles profitaient. Quiconque désira ou réclama l’unité de l’Allemagne fut suspect de libéralisme.

En fait, le désir d’être une grande nation était devenu, dans la partie cultivée et instruite du peuple allemand, une préoccupation constante : regret poignant pour le passé, espérance passionnée pour l’avenir. L’Allemagne avait appris à s’estimer très haut. Herder d’abord, mais surtout Fichte, dans ses « Discours à la nation allemande, » en célébrant le caractère allemand, la bravoure allemande, en proclamant la mission de l’Allemagne, avaient éveillé