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contradictoires finissent toujours par se concilier. Logiquement et réellement, ils s’excluent.

La question de l’unité allemande était donc grosse de mille difficultés qui ne présageaient guère une solution heureuse et prochaine. Comme si cela n’eût pas suffi, elle se compliquait d’une autre encore plus inextricable. La plupart des patriotes réclamaient la liberté avec non moins d’insistance que l’unité. En soi, les deux questions eussent pu rester distinctes. De fait, elles se trouvèrent liées par la force des circonstances. D’une part, l’Autriche et la Prusse, par système, confondaient exprès les partisans de l’unité et ceux de la liberté, afin de sévir indistinctement contre tous et de les rendre tous suspects aux gouvernemens confédérés. De l’autre, la même classe de la nation qui éprouvait le désir de l’unité, c’est-à-dire la bourgeoisie éclairée, les écrivains, les professeurs et les étudians des universités, devait aussi ressentir le besoin de la liberté, ne fût-ce que pour exprimer leurs aspirations politiques. Mais que d’obstacles nouveaux cette seconde question ne soulevait-elle pas ! La question de l’unité rapprochait nécessairement tous les patriotes ; la question de la liberté les divisait. Toutes les nuances d’opinion étaient représentées parmi eux, depuis les conservateurs jusqu’aux radicaux, en passant par les libéraux proprement dits. Eussent-ils été d’accord, quels moyens employer pour parvenir à leurs fins, quelles forces avaient-ils à leur disposition ? L’Allemagne une était un but presque inaccessible ; l’Allemagne une et libre était une chimère.

Comparez la vie politique de l’Allemagne à celle de la France et de l’Angleterre pendant la période qui va du congrès de Vienne à la révolution de février. Vive et brillante dans ces deux pays, où le régime parlementaire donnait ses meilleurs fruits sans trahir encore ses plus graves défauts, elle était en Allemagne terne, pénible, intermittente. Seuls, des états secondaires, tels que Bade, le Wurtemberg, la Bavière, possédaient des institutions parlementaires, souvent entravées dans leur jeu et menacées même dans leur existence par le mauvais vouloir de la Prusse et de l’Autriche. Par essence et par système, l’Autriche en était l’ennemie jurée. Aux yeux de Metternich, tout parlement, si conservateur qu’il fût, tendait nécessairement à contrôler les actes du pouvoir souverain, à empiéter sur lui, par conséquent, et à ébranler le respect de l’autorité. Puis, à vrai dire, la structure même de l’Autriche excluait l’idée d’un parlement. Les Allemands y seraient-ils seuls représentés ? C’était établir entre eux et les autres sujets de la monarchie une distinction offensante et dangereuse : c’était fournir à ces derniers une nouvelle raison de se plaindre et une occasion de se compter. Et si les Hongrois, les Tchèques, les Croates, les Polonais, les Ruthènes, les Italiens y