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étaient admis, il fallait s’attendre à des conflits incessans et à la dissolution imminente de la monarchie. Metternich avait donc les meilleures raisons du monde pour s’en tenir, dans les états de son maître, au despotisme éclairé dont les peuples avaient paru se contenter avant la révolution. Persuadé que le mal politique est contagieux, il pesait de tout le poids de son autorité en Allemagne, et en particulier à la Diète, pour paralyser chez ses voisins des institutions dont il ne voulait pas chez lui. « L’imagination de Metternich, dit assez plaisamment M. de Treitschke, n’avait que cinq métaphores, bien connues du monde diplomatique : le volcan, la peste, le cancer, le déluge et l’incendie, et toutes s’appliquaient au danger révolutionnaire. »

Mais la Prusse, dira-t-on, qui donc l’empêchait de répondre aux vœux des libéraux et des patriotes allemands ? Pourquoi ne s’emparait-elle pas hardiment du rôle que l’Autriche ne pouvait ni ne voulait jouer ? N’était-ce pas le meilleur moyen de se venger des déboires qu’elle avait subis, au lieu de se traîner à la remorque de l’Autriche et de rivaliser avec elle de rigueurs réactionnaires ? Elle y avait songé peut-être, mais des considérations de diverse nature l’en avaient détournée. Tout d’abord, épuisée par les efforts désespérés des dernières campagnes, elle avait besoin de repos pour se refaire, pour rétablir ses finances et changer son système économique. Puis, comme le dit encore très bien M. de Treitschke, elle digérait. Il lui fallait avant toutes choses assimiler les millions de sujets nouveaux qu’elle venait d’annexer, Saxons et Rhénans, fort peu satisfaits d’avoir été faits Prussiens d’un trait de plume, — sans parler des Polonais. Rien ne vaut, en pareil cas, les procédés énergiques que peut seul employer un pouvoir absolu : il n’a de comptes à rendre à personne. Pourquoi donner une voix à des protestations qui s’enflent, se multiplient et s’exaspèrent lorsqu’elles s’expriment librement, tandis qu’une administration habile et vigoureuse les étouffe dans le silence ? Récemment, la Deutsche Rundschau, dans un article fort étudié et évidemment inspiré, à propos des dernières élections en Alsace-Lorraine, regrettait que le droit de nommer des députés au Reichstag ait été concédé aux Alsaciens-Lorrains. S’il y avait eu un Landtag prussien en 1820, quel embarras n’auraient pas causé les députés de Posen, de la Saxe et de la province du Rhin !

En outre, la Prusse n’aurait pu se mettre à la tête des libéraux allemands sans rompre en visière à l’Autriche et à la Russie, et sans sortir, par conséquent, de la sainte-alliance. Elle aurait risqué une grande guerre. Cela n’était ni dans le caractère ni dans les goûts du roi. Les terribles souvenirs de 1807 lui faisaient apprécier tous