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réfléchis, respectueux de la légalité et des puissances, comme l’étaient les professeurs et les savans dont nous nous occupons ici.

Toutefois, sans aller aussi loin que Börne et Heine, plus d’un parmi eux détestait le régime que Metternich imposait à l’Allemagne. La révolution de 1830 avait donné quelques momens d’espoir ; mais « les pompiers de la Sainte-Alliance, » selon le mot de Heine, avaient réussi cette fois encore à étouffer l’incendie allumé en juillet. Le système de compression à outrance avait été rétabli. Il paraissait d’autant plus intolérable qu’on avait pensé y échapper. Dans ces conditions, la liberté devait paraître à beaucoup d’Allemands au moins aussi désirable que l’unité. Les libéraux de l’Allemagne du Sud, en particulier, qui tiennent à leurs institutions parlementaires, repoussent par avance une unité dont la rançon serait la domination de l’Autriche ou de la Prusse. L’unité nationale leur serait précieuse, mais ils n’entendent point lui sacrifier la liberté. Dans un discours prononcé en 1832, Charles de Rotteck, un des plus brillans orateurs des chambres badoises, exprime nettement cette appréhension : « Je suis, disait-il, pour l’unité de l’Allemagne ; je la souhaite, je la veux, je l’exige ; car, pour les affaires extérieures, l’unité seule fera de l’Allemagne une puissance capable d’imprimer le respect : elle empêchera l’insolence de l’étranger de s’attaquer à nos droits nationaux… J’apprécie aussi les avantages intérieurs qu’apporterait la liberté du commerce entre les différentes parties de l’Allemagne… Mais je ne veux point d’une unité qui nous entraînerait à une guerre contraire à nos intérêts les plus chers et à nos sentimens les plus intimes, ou qui, dans les affaires intérieures, nous obligerait, nous autres habitans des légers pays du Rhin, à nous contenter de la mesure de liberté qui suffit pour la Poméranie Ou pour l’Autriche… Je veux l’unité, mais pas autrement qu’avec la liberté, et j’aime encore mieux la liberté sans unité que l’unité sans liberté. Je ne veux pas d’une unité sous les ailes de l’aigle autrichien ou de l’aigle prussien. »

Ce langage est clair. Il répond exactement aux dispositions générales des classes instruites en Allemagne, à l’époque où Rotteck prononçait ce discours. Il provoquerait sans doute aujourd’hui leur indignation. C’est que, dans l’état actuel de l’Europe, une guerre d’extermination est toujours imminente, et nul ne peut sans crime préférer quoi que ce soit, fût-ce la liberté, à la centralisation énergique qui est l’intérêt suprême de la nation. Mais, il y a un demi-siècle, les circonstances étaient bien différentes. Si vif que fût leur désir de l’unité, les meilleurs patriotes ne voulaient pas, en général, l’acheter à tout prix, ils se1 plaidaient à la concevoir réalisée sans que la liberté eût à en souffrir. Bien mieux, ils se flattaient de les